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L'imposition des mains (suite)

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L'imposition des mains (suite) Empty L'imposition des mains (suite)

Message par tenebre Ven 16 Oct - 0:34

CHAPITRE VII


AUTRE GENRE DE SOMMEIL

Nombreuses expériences. Séance mondaine. Un avocat prolixe. Manière originale de le réduire au silence. Endormi par surprise. Rôle possible de la suggestion.


L’affaire du caporal endormi fit sensation au quartier. On se plut à m’attribuer une puissance redoutable. Beaucoup crurent que, par un simple acte de volonté, il m’était loisible de terrasser le premier venu. Mes dénégations à ce sujet ne m’en rendirent que plus suspect, aussi fut-il un moment où l’on ne m’approchait pas sans appréhension.
Par esprit de contradiction autant que par bravade il se trouva néanmoins quantité d’individus venant s’offrir comme sujets d’expérience.

Le sommeil s’obtenait avec eux environ une fois sur trois ; mais ce n’est point là une moyenne générale, car le fait de subir la fascination du merveilleux dénote quelque prédisposition spéciale.
Du reste, les phénomènes produits n’étaient que d’un très médiocre intérêt. Je recherchais la lucidité somnambulique, mais je n’obtenais guère qu’un état de torpeur, avec contractures et insensibilité.
Un de mes amis, habile à manier la suggestion, avait été plus heureux. Il fascinait très facilement l’un de ses canonniers et lui faisait exécuter les tours les plus surprenants.
Cela nous valu d’opérer un soir dans un salon, devant les invités d’un officier.

Des expériences fort habilement conduites eurent bientôt émerveillé l’assistance. un avocat au Conseil de guerre se fit alors l’écho de l’enthousiasme général. Mais son éloquence se montra par trop intarissable. Il fallut songer à réfréner son ardeur oratoire, et l’on ne trouva rien de mieux que de lui proposer de l’endormir.
Le beau parleur prétendit que cela ne serait pas possible et voulut le démontrer en laissant agir mon ami. On eut ainsi un moment de répit ; mais malgré les passes et les projections de fluide, l’avocat se maintint éveillé. Ce fut pour lui un triomphe, dont il abusa en reprenant ses tirades avec un redoublement de verve. Comment désormais l’arrêter ?

Afin d’y réussir, j’offris, non pas de provoquer le sommeil – cela venait d’être reconnu impossible – mais de faire éprouver quelque effet indéniable de l’action magnétique, le sujet restant en plein état de conscience.
Cette façon d’entrer en matière présentait un double avantage : elle rassurait l’avocat, tout en ménageant son amour propre. C’est donc de fort bonne grâce qu’il se prêta à ce nouvel essai. Ayant établi le rapport par les mains, selon mon habitude, je fis quelques passes dans la région de l’épigastre. la poitrine me parut alors attractive : mes doigts se crispaient légèrement sur le trajet des voies respiratoires. C’était à mes yeux l’indice d’une irritation.

Dès qu’il eut entendu mon diagnostic, l’incorrigible orateur s’empressa de le confirmer en dissertant avec emphase sur la bronchite chronique dont il souffrait depuis de nombreuses années. C’était vraiment singulier que j’aie pu découvrir son mal ainsi, par un procédé d’auscultation qui touche au prodige ! Et le plaidoyer de reprendre de plus belle ! Obtenir le silence devenait désormais bien difficile.

Cependant un grand point était acquis. Je venais de gagner la confiance du malade. Mes passes lui procuraient une sensation de bien être, à laquelle il ne demandait qu’à s’abandonner.
Il le fit si bien qu’une douce somnolence vint l’envahir peu à peu. Perdant alors sa loquacité, il devint finalement silencieux et l’on n’entendit plus que ses ronflements rythmés.
Cette musique fut chaleureusement applaudie. Mais l’excellent homme mit le comble à la gaieté lorsque, ayant été réveillé, il prétendit ne pas avoir dormi !

Comme dans le cas rapporté au précédent chapitre, il s’agit ici d’un sommeil artificiel.
Mais d’une part, l’action avait été concentrée directement sur le cerveau : il en était résulté un sommeil instantané, profond et représentant tous les caractères d’un trouble morbide. La seconde manière d’opérer avait, au contraire, amené le sommeil par degrés insensibles : il était survenu comme lorsqu’on s’endort normalement. Ce n’était plus une crise violente, résultant de quelque congestions nerveuse momentanée, mais bien une détente réparatrice, une phase de repos purement physiologique.

On conçoit que ces deux genres de sommeils sont aux antipodes l’un de l’autre. le premier ne peut être qui nuisible à la santé du sujet, alors que le second se montre essentiellement salutaire.
Dans le cas de l’avocat, il convient de le remarquer, je n’était préoccupé que d’une action purement thérapeutique. Aussi ai-je toujours été tenté d’attribuer la production du sommeil aux désirs des assistants. Depuis, alors que je magnétisais dans des conditions analogues, sans viser à endormir, j’ai pu voir des sujets tomber en état d’hypnose, parce que j’opérais en présence de personnes curieuses de cet ordre de phénomènes.

(Il m’est arrivé, en particulier, de plonger dans un sommeil profond, et inattendu de ma part, un modèle qui posait dans un atelier de peintre. En magnétisant, je ne songeais qu’à une intervention exclusivement curative ; mais les personnes qui m’entouraient étaient surexcitées par l’attente d’un spectacle extraordinaire. C’est à leur action inconsciente que j’attribue la crise hypnotique qui se déclara subitement. Il s’établit en pareil cas une chaîne de volontés et de désirs. Cette intervention psychique collective peut favoriser ou entraver les phénomènes. Elle fournit la clef d’un grand nombre de faits jugés merveilleux, et en particulier de la part de ceux qui se produisent dans les réunions spirites. Pour ma part, tant que je me suis trouvé en tête à tête avec un sujet j’ai généralement eu beaucoup de peine à l’endormir et les échecs ont été nombreux ; en présence d’un public curieux j’ai au contraire, presque toujours réussi.).

Il n’y a pas que la volonté qui agisse sur un sujet sensible, et c’est ce qui explique l’échec d’expériences délicates, lorsqu’on s’efforce de les réaliser devant un public malveillant.
Je me suis demandé, enfin, si la volonté de mon ami n’avait pas crée autour de son sujet rebelle une sorte d’ambiance somnifère. Tant que l’avocat a opposé de la résistance rien ne s’est passé. Mais, dès que rassuré par moi il s’est abandonné, les portes se sont trouvées ouvertes au sommeil qui l’assiégeait.


CHAPITRE VIII

DANGERS DE L’HYPNOTISME

Un sujet rebelle. L’accumulation des forces psychiques. Ses effets. Une crise funeste. Règle de prudence. Responsabilité.

Il ne faut jamais jouer avec des forces que l’on ne connaît pas ; ca qui paraît fort innocent risque parfois de tourner au tragique. Qu’on en juge par l’histoire suivante :

En face de la caserne s’ouvrait un petit bazar d’articles militaires. On y trouvait depuis le blanc de guêtre jusqu’au papier à lettre orné de cœurs enflammés, et d’autres emblèmes aux couleurs criardes. L’établissement se doublait d’une vague épicerie et d’un débit de boissons. Il était tenu par une bossue, dont le mari se chargeait plus spécialement de servir à boire ; c’était un joyeux vivant qu’on n’appelait jamais autrement que « le bossu », afin de ne pas dire « le mari de la bossue ».
Inutile d’ajouter que sa profession lui interdisait de se poser en modèle de sobriété.

Il fallait s’attendre de sa part aux apostrophes les plus familiers. Aussi ne fus-je nullement surpris un jour en l’abordant, de m’entendre interpellé en ces termes : « Ah, c’est vous qui endormez le monde !… Eh bien, je voudrais bien vous voir essayer sur moi. Mais j’ai les nerfs solides et je suis sûr d’avance que vous ne réussirez pas ! »
Comme j’étais loin de prétendre endormir n’importe qui, surtout de prime abord, je refusais d’accepter un défi ; mais, en revanche, je me déclarai prêt à satisfaire la curiosité de mon interlocuteur.

Celui-ci eut hâte de me prendre au lot, car je devais dès le lendemain quitter pour plusieurs mois la garnison. Il me fit passer dans son arrière-boutique, et là j’eus vraiment recours aux procédés les plus variés pour provoquer le sommeil. Le faux bossu prétendit ne rien éprouver. Il le déclarait sur un ton de fanfaronnade qui aurait dû éveiller mes soupçons. Mais je ne songeais qu’à le « charger » avec toute l’énergie dont j’étais capable, et lorsque, malgré cela, rien ne se produisit, je renonçait à l’entreprise.

Fier de n’avoir pu être entamé, le bossu se mit alors à chanter victoire : « Je vous l’avais bien dit ! Je suis un dur-à-cuire ! J’ai des nerfs autant que vous, je le savais bien ! » Puis il voulut bien faire les choses et m’offrit un petit verre de ce qu’il avait de moins frelaté. Ensuite je regagnais le quartier sans la moindre méfiance.
Lorsque, après une absence prolongée, j’entendis à nouveau parler du bossu, ce fut pour apprendre sa mort. Une affection de poitrine l’avait enlevé trois mois après mon départ.
Mais une réception peu gracieuse m’attendait au bazar de la bossue. A la première emplette qui me mit en sa présence, la veuve me fixa d’un air farouche. Puis sa colère éclata : « Ah, je vous ai bien maudit depuis la dernière fois que je vous ai vu ! »
Et comme je restais interdit, sans parvenir à comprendre en quoi je pouvais avoir offensé cette malheureuse femme, elle reprit sur un ton moins agressif : « Vous souvenez-vous du jour où vous avez essayé d’endormir mon mari ? »
J’avais totalement perdu de vue ce fait, mais alors la mémoire me revint.

« Eh bien, poursuivi la bossue, vous aviez à peine traversé la rue que mon pauvre homme est tombé comme foudroyé ! On m’a aidé à le transporter sur son lit. Là , il s’est mis à divaguer, en m’accablant d’injures, puis il a dormi pendant trois heures. A son réveil, je lui ai reproché la façon dont il m’avait traitée, mais il ne se souvenait de rien. A partir de ce moment, le malheureux n’a plus eu la tête à lui : il est resté frappé, ne raisonnant plus et se livrant à des extravagances, jusqu’au jour où je l’ai perdu. »
« Je voyais bien, ajouta-t-elle en voyant mon air atterré, que vous n’aviez pas de mauvaises intentions ; mais je vous en ai bien voulu, à vous et à vos diableries, et de ma vie je ne pourrai vous pardonner. »

Je passai une fort mauvaise nuit à la suite de cette révélation inattendue. Il résultait des informations prises que c’était bien de la phtisie qu’était mort le bossu. Je ne m’en reprochais pas moins mon imprudence. On ne doit jamais quitter un sujet sans le dégager, alors même que rien d’apparent ne s’est produit.

(Les effets d’une action psychique ne sont instantanés que par exception. En magnétisme curatif, on n’obtient d’ordinaire aucun résultat immédiat, mais on provoque soit une amélioration graduelle insensible, soit un progrès subit, mais qui ne vient qu’à son heure. Il faut dégager à la fin de chaque séance lorsque l’on fait de l’hypnotisme, mais cette pratique n’a pas de raison d’être à la suite d’une action purement curative.
J’étais inexcusable d’avoir manqué à cette règle.

Mais une grande partie des torts retombaient sur la victime. Le pseudo bossu m’avait intentionnellement trompé. Je lui avais recommandé de se prêter de bonne foi à l’expérience, c’est-à-dire de rester passif et de n’opposer aucune résistance.
Or, il est évident que, par forfanterie, il avait secrètement résisté de toutes ses forces à mon influence.
De l’électricité nerveuse à la plus haute tension avait été accumulée autour de lui. Rien ne se produisit tant que le sujet resta actif ; mais dès qu’il cessa de repousser ce qui tendait à l’envahir, il fut subitement possédé. Une crise hypnotique proportionnée aux efforts déployés, tant de ma part que de la sienne, se déclara au moment précis où, me voyant parti, le bossu crut ne plus rien avoir à craindre de moi. L’invasion en pareil cas guette le premier instant de passivité, puis elle se manifeste avec une foudroyante énergie.

Une commotion aussi violente ne pouvait être que pernicieuse à un être déséquilibré. Il en était résulté un ébranlement cérébral, compliqué par l’alcool, mais étranger aux causes qui amenèrent la mort.
J’ai cru de mon devoir de citer cet exemple à titre d’avertissement. Puisse-t-il inspirer l’horreur de toute expérimentation frivole. Pour ma part, après m’être vu accusé d’homicide par imprudence, j’ai définitivement rompu avec les manœuvres des endormeurs. Elles m’ont toujours inspiré depuis une profonde répugnance. Il y a, du reste, incompatibilité entre elles et la pratique des thérapeutes.
C’est ce qui sera développé au chapitre suivant.


CHAPITRE IX

HYPNOTISME ET MAGNETISME

Sommeil bienfaisant, sommeil inoffensif et sommeil nuisible. L’hypnose. son caractère criminel et ses duperies. L’action thérapeutique. Le choix d’un guérisseur.

Le sommeil provoqué peut se présenter sous trois aspects essentiellement différents. Lorsqu’il survient sans être spécialement cherché, à la suite d’une action purement curative, il se traduit par un alanguissement progressif, avec somnolence plus ou moins profonde. Il est alors l’effet d’une réaction équilibrante de l’organisme. c’est un sommeil réparateur et réconfortant, ne différant du sommeil normal que par l’efficacité plus grande de son rôle physiologique. Le malade doit s’y abandonner en toute confiance. Il n’en résultera pour lui qu’une sorte de repos actif, extrêmement favorable au rétablissement des fonctions organiques troublées.

Un sommeil d’une tout autre nature est obtenu par le magnétiseur qui endort un sujet lucide. Celui-ci est plongé dans un état d’ivresse nerveuse qui exalte les facultés imaginatives. On est alors en présence d’un être jouissant de la plus exquise sensibilité et apte, par ce fait, à percevoir ce qui échappe à nos moyens ordinaires de connaissance.
Ce genre de sommeil n’a en lui-même rien de préjudiciable à la santé, surtout si l’on a soin de ne pas le provoquer trop souvent et que sa durée ne soit pas exagérée.
Il n’en est pas de même de l’hypnose, que l’on provoque en paralysant certains centres nerveux. C’est là un genre de sommeil nettement pernicieux, qui tend à estropier dans leurs facultés mentales des êtres déjà affectés de quelque tare cérébrale.

(Il s’agit ici du « grand hypnotisme » de l’Ecole de la Salpêtrière. A Nancy, le docteur Liébeault a toujours procédé avec douceur. Ses méthodes de psychothérapie sont appliquées à Paris par l’Institut Psycho Physiologique, dont la fondation est due au docteur Edgar Berillon.
On estime, de nos jours que plus encore qu’aux peintres et aux poètes il est loisible aux inquisiteurs de la science de tout oser. Les savants peuvent donc, à leur gré, manier l’hypnotisme comme un instrument de vivisection humaine : il faut leur en laisser la responsabilité. Mais un homme de cœur ne verra jamais dans les lames du bistouri et les bouchons de carafe du braidisme que des jouets dangereux, à reléguer dans l’arsenal de ce que l’on appelait jadis la Magie noire.

Toute pratique malfaisante se retourne, d’ailleurs, volontiers contre son auteur. C’est ainsi que l’hypnose, tout en détraquant le sujet, ne reste pas sans atteindre l’opérateur lui-même dans son intelligence et son bon sens. De graves savants ont totalement perdu la tramontane au contact de natures flottantes, dont ils affinaient la ruse perverse. On les a vus édifiant de laborieux systèmes, sur les indications fallacieuses d’individus portés à toutes les tromperies. Car tout devient terriblement chanceux, dans un domaine où les pièges les plus perfides sont continuellement tendus par la suggestion mentale et l’idéoplastie.

(On ne saurait trop se défier des sujets hypnotiques, surtout de ceux dont on s’imagine avoir fait entièrement sa chose. Plus on a de pouvoir sur un être, et plus il vous tient sous son influence occulte. Ceux qui abusent de leur ascendant sont fatalement punis, en raison d’une loi d’équilibre et de réversibilité que représente par excellence la justice (Arcane VIII du Tarot)
Ce qui précède doit faire mesurer l’abîme qui sépare l’hypnotisme de la pratique des thérapeutes.
D’un côté, nulle dépense de la part de l’opérateur, qui violente la nature pour imposer son caprice individuel en tyrannisant autrui, sans respect pour le caractère sacré de la personnalité humaine. De l’autre on ne rencontre qu’un homme charitable, qui donne sa propre vie pour secourir son semblable. Il n’est pas question pour lui de faire montre de sa force et de frapper les imaginations par des prodiges inattendus : le thérapeute est le serviteur fidèle, l’humble disciple de la nature. Il lui obéit, afin de puiser à la source de toute vie la force qui sauve, répare et guérit. C’est un prêtre au plus haut sens du mot : il remplit une auguste mission, qui impose des devoirs de pure piété humanitaire.

Ce guérisseur incomparable ne se dépensera pas en phrases. Les élégances mondaines n’auront pas toujours poli en lui le rustre grossier de ton et de manière, mais il ne faut pas s’arrêter à ces dehors rébarbatifs : qu’importe que l’enveloppe soit rude si elle contient des trésors de réelle bonté, de richesse de cœur et de volonté droite !

Vous qui souffrez, cherchez donc votre médecin parmi ceux qui possèdent le pouvoir effectif de donner la santé. Fuyez tout ce qui sent la réclame ou l’entreprise industrielle. Craignez le guérisseur trop savant et trop habile. Allez aux plus modestes, à ceux qui s’ignorent eux-mêmes, aux âmes naïves, mais fortes. C’est parmi elles que vous découvrirez votre sauveur, votre homme de Dieu. Quand vous l’aurez trouvé, enseignez-lui à vous imposer les mains : il vous guérira ainsi avec plus de rapidité et de sûreté que le plus orgueilleux des docteurs.


CHAPITRE X

EXEMPLE DE CURE


La passion du magnétisme. Une angoisse. Rappel à la vie. Sommeil lucide. Crises salutaires.
Lorsqu’on s’adonne d’une façon suivie à la pratique du magnétisme curatif le besoin de se dépenser finit par devenir si impérieux qu’on souffre de rester inactif. L’habitude crée en cela comme une seconde nature : il se développe une fonction physiologique spéciale, qui veut désormais être exercée.

J’ai pu constater ce fait après avoir quitté le régiment. Mes nouvelles occupations ne me laissaient aucune liberté ; il fallut m’astreindre à un travail absorbant qui bientôt me fut un supplice.
C’est alors que, poussé à bout, je pris la résolution de me livrer sans réserve à ma passion pour la psychiatrie.

Mes soins furent tout d’abord requis à l’occasion d’un cas désespéré. Une jeune femme, déjà mère de quatre enfants, avait été épuisée par ses grossesses successives et ses allaitement prolongés au milieu des plus dures privations. Une nourriture insuffisante, le froid, les fatigues et les tracas d’une misère noire avaient amené des troubles nerveux, puis des crachements de sang. Complètement anéantie, la malheureuse était réduite au dernier degré de l’asthénie. il lui restait tout juste encore assez de force pour rejeter la nourriture qu’on essayait de lui faire prendre.

Lorsqu’on eut recours à mon intervention la mort était, de l’avis des médecins, imminente et fatale. La malade ne sortait plus d’un état comateux qui semblait ne laisser subsister une lueur de vie que dans le poumon gauche et le cœur. Courte et irrégulière, la respiration menaçait d’un instant à l’autre de s’interrompre.

Le spectacle était poignant. Mon premier mouvement fut de me retirer, sans rien entreprendre ; puis il me parut cruel d’abandonner ainsi cette agonisante. La sauver m semblait impossible ; mais peut-être, en cette extrémité, pouvais-je atténuer les affres de la lutte suprême. N’est-ce pas une charité que d’aider à mourir quand le terme irrémissible est venu ?
Décidé à m’acquitter d’une mission aussi pénible, je dirigeai tristement la pointe de mes doigts vers cette poitrine prête à rendre le dernier souffle.

Presque aussitôt je sentis s’établir un courant, faible d’abord, puis croissant peu à peu d’intensité. il s’effectuait de la part de la moribonde une soustraction de force. Je m’y prêtai passivement, car il ne fallait risquer aucune secousse, et se borner à suivre la nature avec une extrême précaution.
J’eus bientôt la surprise de voir le rythme respiratoire se régulariser. Très émotionné, je poursuivis longuement les passes, toujours attentif à ne rien brusquer. Le jeu des poumons prit alors plus d’ampleur, puis les traits du visage semblèrent se détendre et perdre leur expression douloureuse.
Mais ce ne fut pas tout, après une heure de magnétisation la mourante se ranima. Elle ouvrit les yeux et me fixa d’un regard vague, qui devint soudain étrangement interrogatif. En même temps, les lèvres s’agitèrent, comme pour parler. Interrogée, la malade répondit par de faibles signes de tête.

Elle fit ainsi comprendre que mon action lui procurait un puissant bien-être. On m’apprit à ce moment que la malheureuse avait longtemps souffert du bras droit, avant d’en perdre totalement l’usage.
Dirigeant immédiatement mes passes sur ce membre j’invitai bientôt la malade à le mouvoir un peu. Je ne comptais tout au plus que sur un très faible déplacement. Mais voici que le bras fut levé sans difficulté.

La pauvre femme en fut si émue, que la parole lui revint subitement. Elle eut la force de ma dire d’une voix assez distincte : « Vous allez me sauver, je le sens ! Dieu vous a envoyé pour cela. Il ne pouvait pas m’abandonner : je l’ai tant prié de ne pas me laisser mourir à cause de mes enfants ! »
L’exaltation de la malade devint telle qu’il fallut la calmer, afin de l’empêcher de dépenser en paroles la force qu’elle commençait à reprendre.

Les séances furent poursuivies cinq jours de suite, et prolongées parfois au delà de deux heures. Les progrès réalisés permirent alors à la malade de quitter momentanément le lit pour s’installer dans un fauteuil. La faiblesse restait excessive, mais les fonctions reprenaient successivement.
Désormais les magnétisations n’eurent plus lieu que tous les deux jours, puis elles furent espacées ; mais il y eut à soutenir une lutte de dix-huit mois pour avoir raison du mal.

J’étais en présence d’un sujet d’une sensibilité exceptionnelle. L’assimilation des forces transmises étaient si instantanées qu’après chaque séance la malade s’imaginait n’avoir plus rien à craindre ; aussi se laissait-elle facilement entraîner à des imprudences qui amenaient des rechutes.

L’accessibilité à l’influence du magnétisme se traduisit, en outre, par une irrésistible propension au sommeil. La patiente it d’abord des efforts pour se maintenir éveillée, mais, sur ma recommandation, elle s’abandonna à ce qui voulait se produire. Une influence progressivement envahissante semblait alors refouler hors d’elle-même sa personnalité consciente ; il en résultait une angoisse pénible, comme s’il lui eut fallu s’abîmer dans un gouffre et en quelque sorte mourir. Mais, une fois rassuré sur cette sensation particulière, le sujet cessa de s’en alarmer et s’y accoutuma facilement.
Dans son sommeil, la malade fournissait des renseignements sur son état. Elle prétendait n’être atteinte d’aucune lésion organique grave : tout son mal ne provenait, d’après elle que de troubles fonctionnels. Les poumons, en particuliers, n’étaient pas attaqués, ils étaient même remarquablement sains, mais ils étaient faibles comme paralysés. Ils avaient perdu leur élasticité ; aussi, lorsque le sang devenu plus généreux, vint y affluer avec impétuosité, le danger fut grand. La malade était alors en proie à des crises congestives, qu’elle déclarait indispensables, mais qu’elle ne pouvait surmonter que grâce au magnétisme.

Ces accès étaient toujours annoncés d’avance et je pouvais ainsi me tenir prêt pour l’heure précise de leur apparition. La malade alors suffoquait comme lors de ses premiers crachements de sang ; mais l’imposition des mains et les passes semblaient donner de l’air et bientôt le péril était conjuré.
On peut apprécier, d’après cet exemple, le rôle capital que la lucidité somnambulique est susceptible de jouer dans le traitement des maladies.

Elle fit en ce cas le salut du sujet, qui parvint à conquérir pleinement la santé, non sans m’avoir fourni à l’occasion de m’initier à toute une physiologie occulte du système nerveux.
Cette cure, aussi brillante qu’inattendue, me donna une grande confiance en moi-même et me fit envisager le magnétisme comme une vocation.

Pendant cinq années, je m’y suis livré sans réserve. J’étais alors dans toute l’effervescence de la jeunesse et mon enthousiasme ne m’accorda ni ménagement ni repos. Plus tard, mon zèle pour la pratique fut tempéré par le goût croissant des recherches théoriques, et le temps est peut être proche où la théorie devra recevoir définitivement la préférence.
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