L'imposition des mains
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L'imposition des mains
Oswald Wirth
L’imposition des Mains
Guy Tredaniel
Editions de la Maisnie 1975
« L’individu n’est rien par lui même, mais il peut disposer d’une force immense s’il parvient à s’aimanter des courants de la vie collective… »
« Le grand agent magique résulte du mariage de la volonté mâle et de l’imagination femelle, principes antagonistes que représentent les deux serpents du caducée hermétique »
« Chacun peut imposer les mains et rendre parfois par ce moyen si simple d’inestimables services. Le magnétisme curatif est à vulgariser, à faire passer dans les mœurs »
« Sachez vouloir avec douceur, sans saccades ni soubresauts ; ayez une imagination vive, ardente, et laissez vous entraîner hors de vous-même pour porter secours à autrui ; cultivez vos facultés volontaires et imaginatives ; ainsi votre pouvoir occulte ira sans cesse en augmentant. Le tout est d’apprendre à penser, afin de se servir de la pensée comme d’une force comparable à l’électricité ».
O. Wirth
A la mémoire
Du Vicomte CHARLES DE VAUREAL
Docteur en Médecine de la Faculté de Paris
À qui l’auteur doit la clef interprétative
Du symbolisme hermétique
AVANT PROPOS
En entreprenant de rédiger un traité sur l’imposition des mains, l’auteur n’a eu tout d’abord en vue qu’un but purement humanitaire : il avait constaté l’efficacité d’un mode de traitement méconnu, et se croyait tenu de publier le résultat de ses observations.
De là naquit la première partie du présent ouvrage. Elle s’adresse indistinctement à toutes les personnes assez indépendantes d’esprit pour juger des choses sans parti-pris. Tout se borne à un récit de faits personnels, exposés dans ce qu’ils présentent d’instructif.
Mais l’auteur n’a pas pu s’en tenir là. On était en droit d’exiger de lui des explications, fussent-elles hypothétiques ; car le fait n’entraîne par lui-même aucune conviction, tant qu’il n’est pas rationnellement interprété. Après avoir enseigné la Pratique, il devenait indispensable de fournir tout au moins des indications relativement à la Théorie.
Ainsi prit corps la deuxième partie de ce travail.
Il ne faut pas y chercher des solutions toutes formulées. Tout est encore mystère dans le domaine de la psychiatrie. Les agents psychiques que met en œuvre cette branche de l’art médical, nous sont inconnus dans leur essence. Nul ne saurait dire ce qu’est la pensée, la volonté, l’imagination, la vie.
Nous possédons néanmoins une tradition philosophique, qui projette une vive clarté sur les plus redoutables problèmes. De grands penseurs ont jadis édifié une synthèse de science et de métaphysique qu’il importe de mettre à la portée des générations actuelles. C’est à cette restitution d’un monument précieux pour l’archéologie de la pensée, que l’auteur s’est appliqué, en exposant les principes de la Médecine Philosophale.
Malheureusement, les hautes spéculations de la Philosophie hermétique ne sauraient être vulgarisées. Elles restent à jamais l’apanage de cette élite intellectuelle, qui sait discerner l’esprit vivifiants sous les écorces de la lettre morte.
Celui qui n’est pas aveugle à la clarté intérieure des choses, celui-là prête au langage figuré une précision que nulle terminologie scolastique ne peut atteindre. C’est pour cette raison que les doctrines alchimiques n’ont pas été dépouillées de leurs vêtements traditionnels.
En résumé, les présentes pages sollicitent le lecteur à sortir des sentiers battus. Elle n’offrent, à vrai dire, que des matériaux à peine dégrossis, mais peut-être est-ce là précisément leur mérite.
Car l’important n’est point de présenter aux hommes la vérité dans sa quintessence la plus pure, mais bien de leur fournir des aliments dont ils puissent l’extraire eux-mêmes.
Que chacun veuille donc bien tenter l’effort indispensable à l’intelligence des conceptions qui ne sont ici que sommairement esquissées. Elles intéressent au même titre le médecin, le philosophe et le simple curieux avide de mystères.
Mais de préférence, ce livre doit rester dédié à l’homme de cœur, soucieux de disposer en faveur d’autrui d’un agent thérapeutique que tous nous avons littéralement « sous la main ».
L’auteur n’aspire qu’à être utile et ne rien retenir pour lui du fruit de ses études.
O.W.
Paris, 5 avril 1895
L’IMPOSITION DES MAINS
ET LES PROCEDES CURATIFS QUI S’Y ATTACHENT
PREMIERE PARTIE
PRATIQUE
CHAPITRE PREMIER
LA MEDECINE INSTINCTIVE
L’intuition. Les Origines de l’art de guérir. Conceptions primitives. La force vitale transmissible d’une personne à une autre. La psychurgie. Son avenir.
Lorsque la légende attribue à nos premiers parents la connaissance spontanée de toutes choses, elle fait sans doute allusion aux prérogatives dont jouit l’intelligence à l’état naissant.
Au sortir de l’ignorance absolue, l’esprit humain ne subit le joug d’aucun préjugé, d’aucune idée préconçue. Son indépendance est parfaite et rien ne l’empêche de s’orienter librement vers la Vérité.
Celle-ci agit sur les intelligences vierges comme un aimant puissant : elle les attire et les plonge dans une extase qui leur permet de contempler la lumière spirituelle dans son plus pur rayonnement. C’est ce que l’Ecriture appelle converser directement avec Dieu.
Cela veut dire que dans sa naïveté originelle l’homme intuitif est naturellement prophète ou voyant. Il devine juste : au lieu de raisonner, il rêve, et ses visions tiennent du génie.
Mais cette révélation primordiale demande à être formulée. C’est là l’écueil, car l’extatique ne dispose que d’images enfantines et grossières. Il ne peut s’empêcher de tout personnifier. Jugeant l’inconnu d’après lui-même, il crée des divinités à sa ressemblance et peuple son imagination de fantômes.
Ces chimères enveloppent et assiègent son esprit : Ce sont les formes dont la pensée s’est revêtue. Elles masquent la Vérité, qu’elles dérobent à l’intelligence. La Lumière primitive ne parvient plus alors jusqu’à l’homme, qui est chassé de l’Eden : il ne possède plus la vue géniale des choses, et c’est péniblement qu’il acquiert désormais ses connaissances. Heureux encore si un travail ingrat lui fournit autre chose que des fruits amers ! La terre qu’il arrose de ses sueurs ne produit à son intention que des chardons et des ronces.
Il nous est cependant possible de nous relever de la chute. Tout le secret consiste à nous dégager des habitudes vicieuses que notre intelligence a contractées : redevenons semblables à des enfants si nous voulons entrer dans le Royaume des Cieux. Notre primitive innocence, la fraîcheur de notre première impressionnabilité peuvent se retrouver, si nous parvenons à faire abstraction de toutes les théories à la mode pour remonter jusqu’au berceau de nos diverses connaissances. C’est là, c’est à la source initiale de notre savoir que nous pouvons puiser des notions d’une pure et profonde sagesse.
Sans doute, en revenant ainsi sur nos pas nous ne rencontrons que les formes, ou les écorces, qui constituent la lettre morte de toutes les superstitions. Mais ces cadavres, ces momies, nous permettent d’évoquer la pensée éternellement vivante qui jadis y fut enfermée. C’est à ce titre que rien ne doit être méprisé. Tout nous semble ridicule et faux tant que nous ne comprenons pas ; mais dès que notre esprit s’ouvre à la compréhension tout devient respectable et vrai.
Appliquons-nous donc à démêler ce que l’homme a voulu dire, alors qu’inhabile à s’exprimer il balbutiait des fables. Peut-être trouverons-nous dans ces conjonctures instinctives des notions utiles à reprendre. L’esprit humain ne saurait trop se replier sur lui même car, en parcourant le cycle de ses égarements, jamais il n’approche autant de la Vérité que lorsqu’il revient à son point de départ.
Pour nous en convaincre il suffit de se figurer ce que l’art de guérir fut logiquement à ses débuts. Reportons-nous à une époque où l’on ne connaissait encore ni botanique ni chimie. Comment l’homme s’efforçait-il alors de parer aux atteintes de la douleur ?
La réponse nous est fournie par l’observation de ce qui se passe chaque jour autour de nous.
Considérez cet enfant dont le doigt vient d’être pincé ou brûlé. Que fait-il ? Il le porte à la bouche, et le contact de ses lèvres, la tiédeur de son haleine ou la fraîcheur de son souffle le soulage.
Un autre jeune étourdi à reçu un coup sur la main : vivement il presse sous l’aisselle les phalanges endolories et s’en trouve bien.
Nous mêmes, ne nous appliquons-nous pas la main au front lorsque le mal de tête nous y incite ? Et les douleurs intestinales ou les crampes d’estomac, ne nous obligent-elles pas à recourir à l’action calmante de nos mains ?
Ces exemples, qu’on pourrait multiplier à l’infini, montrent comment l’homme réagit spontanément contre la douleur. Sans nous laisser le temps de la réflexion, notre main se porte d’elle-même sur toute région du corps devenue subitement sensible. C’est là une loi d’activité purement réflexe ou automatique, à laquelle nous ne saurions nous soustraire. L’instinct, ce guide infaillible des êtres qui ne raisonnent pas, nous porte ainsi à chercher tout d’abord en nous-mêmes le remède contre la douleur.
N’est-ce point là une indication précieuse ? Pourquoi tant chercher en dehors de nous, alors que c’est EN NOUS que jaillit la fontaine de Vie ? Les choses ne se passent-elles pas comme si toute partie saine du corps tendait à ramener la santé dans une autre partie malade ? Les anciens ne conçurent aucun doute à cet égard, comme le prouvent leurs premières théories médicales.
A leurs yeux, la maladie était une entité hostile, un esprit malfaisant, un souffle vénéneux qui s’insinue traîtreusement dans l’organisme. la santé, par contre, apparaissait comme une essence divine normalement répandue dans tous nos organes, dont elle assure l’intégrité et le fonctionnement régulier. Pour chasser le démon, on crut suffisant de mettre en contact avec lui son antagoniste. Il se déchaînait ainsi une lutte, qui se terminait par la victoire du plus fort.
Ces idées, suggérées par la pratique de guérir en imposant les mains, donnèrent naissance aux conjurations de la Magie chaldéenne. Les médecins babyloniens rédigeaient leurs ordonnances sur des briques, que déchiffrent de nos jours les assyriologues. Il n’y est guère question de remèdes physiques ; mais les dieux, dans ces textes cunéiformes, sont mis en demeure de protéger le malade en le délivrant de ses ennemis invisibles. A notre époque encore, les Tartares attribuent toutes les maladies à l’influence des mauvais esprits. Pour les chasser, ils ont recours à des cérémonies incantatoires, tout comme les sauvages qui ont pour médecins des sorciers, dont les danses furibondes et les hurlements frénétiques mettent en fuite les diables installés dans le corps du malade.
Ces extravagances ne se rattachent que fort indirectement à la Médecine instinctive. Celle-ci devait conduire à des procédure à la fois plus simples, plus rationnels et plus efficaces.
On remarquera sans doute qu’il est avantageux pour le malade de rester complètement passif et d’avoir recours à l’action curative d’une main autre que la sienne. L’intervention d’une personne robuste et bien équilibrée apporte un appoint de vitalité, dont bénéficie immédiatement un organisme affaibli. Du riche au pauvre, il s’opère comme une transfusion équilibrante des forces vitales qui s’écoulent d’elles mêmes vers les organes où le besoin les appelle.
Cette action peut rester purement physiologique et inconsciente. Elle se produit spontanément, en dehors de toute intervention volontaire, intentionnelle ou raisonnée de l’opérateur. celui-ci, néanmoins, ne met en jeu toute sa puissance d’action que s’il fait intervenir sa pensée et sa volonté, autrement dit son âme.
Les prêtre-médecins de l’antiquité savaient sous ce rapport s’exalter par des prières et des incantations, pour agir tout vibrants de ferveur mystique. Leurs traditions passèrent aux Esséniens (du syriaque esso, guérir), et aux thérapeutes, qui portèrent à un très haut degré l’art de la psychurgie.
L’Evangile s’efforça de vulgariser les procédés curatifs de la médecine naturelle, en enseignant à guérir par l’imposition des mains. Mais on se méprit bientôt sur le caractère des guérisons opérées par les premiers chrétiens. Le miracle y avait moins de part qu’on ne se l’est figuré aux âges de la foi aveugle. Pour imiter les apôtres en restituant à autrui la santé, il n’est pas indispensable d’être saint ; il suffit de posséder soi-même ce que l’on veut donner, et, par la suite, d’être sain.
La santé parfaite du corps suppose, il est vrai, une santé correspondante de l’âme et de l’esprit. Mais tout est relatif : il n’y a pas à exiger de perfection. Les uns sont mieux partagés que d’autres et les premiers peuvent toujours venir en aide aux seconds. Une compassion sincère aux souffrances d’autrui suffit à nous mettre en état de réaliser toutes les merveilles thérapeutiques des psychurges.
La médecine instinctive reste ainsi à la porté du très grand nombre. De même qu’elle n’exige qu’un degré de très accessible sainteté, elle ne réclame pas, d’autre part, des connaissances spéciales. Ce n’est pas elle qui astreint à disséquer des cadavres, à torturer des animaux et à retenir quantité de termes savants. Sans doute, elle ne requiert pas non plus que l’on reste ignorant par système ; mais un peu de sagacité naturelle, avec beaucoup d’ardeur généreuse et de bonne volonté, conduisent plus loin dans le domaine de psychiatrie que tout ce que l’on enseigne dans les écoles.
Voyez cette mère qui presse contre son sein l’être chéri menacé de mort. Dans l’élan de sa tendresse elle veut lui donner sa propre vie… et le prodige s’accomplit ! Il y a transmission de vitalité et l’enfant est sauvé, alors que la science le déclarait perdu. Combien de fois l’amour maternel a-t-il ainsi fait mentir le pronostic des savants !
Le malheur, c’est que nous soyons aveuglés par une fausse éducation, qui nous détourne en toutes choses de la simplicité naturelle. Nous ne concevons pas de guérison en dehors de tout un appareil de pompe charlatanesque. Pour capter notre confiance il faut des titres et des diplômes, avec prescription de drogues mystérieuses, et surtout… une forte note à payer.
Les préjugés sont tenaces. Mais on finira par se lasser des remèdes artificiels, et force sera de revenir tôt ou tard à la Nature qui, seule, guérit. L’art alors ne s’attachera plus qu’à seconder son œuvre réparatrice et reviendra aux données premières de la médecine instinctive.
Jusque là, il est à désirer que les disciples d’Hippocrate se montrent moins prodigues de toxiques. On peut guérir par des moyens inoffensifs : sans proscrire d’une manière absolue les médicaments dangereux il convient donc tout au moins de les réserver comme ultimato ratio. La NATURE devrait avoir le pas sur les instruments et les poisons de l’ART.
Lorsque la médecine entrera dans cette voie elle réservera une large place à la Psychiatrie, et nul ne songera plus à décrier en elle une science néfaste, exploitée par des pourvoyeurs de la mort !
CHAPITRE II
PREMIERS ESSAIS
Une lecture attachante. Expérience au collège. Constatations répétées. A bout de fluide. Ménagements imposés par l’adolescence.
Lorsqu’il m’est arrivé de parler de magnétisme on n’a jamais manqué de s’enquérir de la façon dont l’idée m’en est venue. Pour satisfaire sous ce rapport une curiosité fort légitime, je suis tenu de me reporter à ma quatorzième année. J’étais alors au collège dans la suite allemande, chez de braves pères bénédictins qui mettaient à la disposition de leurs élèves une assez riche bibliothèque. Ce qu’on est convenu d’appeler le hasard m’y fit découvrir, dans un recueil périodique, un récit intitulé : Der Wunderdoctor, le Docteur aux miracles.
Me croyant en présence d’une œuvre de pure imagination je fus surpris de rencontrer tant de fantaisie sous une plume germanique. De la part d’un auteur français nulle invention ne m’eut paru trop ingénieuse ; mais je voyais autour de moi tant d’esprits massifs que j’eus quelque soupçons d’une vérité servant de trame au récit qui m’avait émerveillé. Il était question de cures surprenantes, opérées par une force que nos nerfs sont susceptibles d’émettre sous l’impulsion de la volonté.
La théorie ne me parut pas en elle-même irrationnelle. Pourquoi les faits devraient-ils la démentir ? Donnant cours à les réflexions je ne tardai pas à entrevoir toute une science ignorée de nos professeurs. En ma qualité de cancre incorrigible je me mis à ruminer quelque revanche secrète.
Connaître des choses mystérieuses ne figurant pas au programme de nos cours, pouvoir en remontrer sur certains points à des hommes de science, quel rêve pour un écolier paresseux !
Mais y avait-il un fond de vrai dans l’histoire de ce magnétiseur mis en scène par l’écrivain allemand ? Que penser en particulier d’une note finale, indiquant sommairement les procédés à mettre en œuvre pour guérir par le magnétisme ? L’auteur prétendait, au surplus que le don des pseudo-miracles est des plus communs, et il engageait toute personne vigoureuse à tenter l’expérience.
je résolus d’en avoir le cœur net.
Le soir même, après une chaude journée de juin, je causais à l’écart avec l’un de mes camarades. Il était distrait, car un moustique l’avait piqué à la jambe et il ne cessait de se gratter.
Cela me fit songer à la méthode curative dont j’étais préoccupé. L’occasion d’en faire l’essai. d’un air mystérieux je proposai donc à mon ami de le guérir au moyen d’un « secret ! »
Très intrigué, il se mit à ma disposition et me montra sur son mollet une petite tache pâle, largement auréolée de rouge. Le bobo était insignifiant, et pour en avoir raison on pouvait se contenter d’être un fort petit sorcier. Plein d’assurance, j’attaquai donc le mal en effleurant la peau du bout des doigts de ma main droite, tandis que ma gauche serrait la paume de mon camarade, tout juste avec le degré de force requis pour provoquer dans mon bras une légère contraction nerveuse. Nous étions à genou sur le gazon, l’un en face de l’autre.
La consigne était de se regarder fixement dans les yeux, avec la volonté ferme d’une part d’être guéri, et de l’autre d’agir en thaumaturge.
Au bout de deux minutes, cet innocent manège fut interrompu. Mon ami prétendait ne plus rien sentir. Je crus d’abord qu’il tentait de ma mystifier.
Ce pouvait n’être, d’ailleurs, qu’une intermittence fortuite. Mais mon camarade ne l’entendait pas ainsi. Il avait senti quelque chose d’anormal se passer en lui ; mon « secret » avait bel et bien produit son effet. « Et la preuve, dit-il, la voici ! »
Ce disant, il me fit examiner le foyer d’irritation, qui effectivement, ne présentait plus du tout le même aspect. Il ne subsistait plus qu’un peu de rougeur uniforme ; quant à la petite cloque blanche centrale, elle avait complètement disparu.
Du coup, j’étais ébranlé. Serait-ce vrai ? Il y aurait donc une réalité dans ces choses cachées, bien autrement intéressantes que celles qu’on nous inculque à rand renfort de menaces et de punitions ? Ah ! mes excellents maîtres, s’il est une science que vous ne connaissez pas, c’est à celle-là que je m’appliquerai ! Savoir ce que tout le monde sait, cela n’est pas enthousiasmant. Mais l’inconnu, le mystérieux, quels appas pour une imagination vive !
Tout cela était fort beau ; mais n’étais-je pas dupe de quelque illusion ? Réussirais-je seulement à répéter l’expérience ?
Il me tardait d’être fixé à ce sujet. S’il y avait parmi les élèves quelque éclopé !… Mais tout juste, voici un de nos camarade qui a la main bandée.
Au cours d’une promenade, en collectionnant des coléoptères, il a frôlé des orties et la sensation de brûlure est resté assez vive.
J’offre mes services, qui sont acceptés, et j’opère comme la première fois, avec le même succès.
Plus de doute désormais : je suis sorcier ! J’en profite pour dissiper des douleurs de tête, des maux de dents et toute une série de petits malaises.
Chaque fois le résultat devait être obtenu en deux ou trois minutes ; en cas d’échec, je ne songeais pas à recommencer : il me fallait des guérisons instantanées.
Je ne pouvais ainsi avoir raison que de désordres absolument superficiels ; tant soit peu profonds ils résistaient à mon procédé. Ce fut, à les yeux, l’indice d’un épuisement de ma réserve fluidique.
J’avais dépensé ma force : il fallait laisser à la pile le temps de se charger à nouveau.
Puis je traversais une phase de croissance qui ne devait guère être propice aux exercices de gymnastique nerveuse. L’organisme doit achever de se construire, avant de pouvoir disposer sans inconvénient de ses énergies latentes. Bon gré, mal gré, je dus ainsi me résigner à remettre à plus tard l’exercice de mon pouvoir occulte. Mais le grain était semé ; il me restait une conviction : celle de la réalité du magnétisme
CHAPITRE III
MES INITIATEURS
Les aventures de Cagliostro. Le Baron du Potet. Adolphe Didier. L’aura magnétique. Les avantages de la sensibilité. Le végétarisme. Le jeûne.
Etant donné mes dispositions d’esprit, on conçoit tout l’intérêt que je dus prendre à certaines lectures. Joseph Balsamo devait surtout m’impressionner. mais le roman d’Alexandre Dumas me suggéra des idées assez saugrenues.
Il me fit envisager le don de guérir comme transmissible par voie d’investiture occulte. Je me figurais qu’il était impossible de devenir magnétiseur par soi même sans se faire initier par un adepte.
J’imaginais une sorte de sacerdoce se perpétuant au moyen d’une consécration spéciale, par l’effet d’une sorte de sacrement magique.
Ces conceptions peu rationalistes furent bientôt reléguées dans le domaine des fantasmagories enfantines.
Devenu esprit fort, je ne voulus plus voir dans le magnétisme qu’un agent essentiellement naturel, dont chacun peut faire application pourvu qu’il en connaisse les lois.
Il importait donc de m’instruire auprès de maîtres expérimentés : c’était là toute l’initiation à laquelle je pouvais aspirer.
Or, me trouvant à Paris vers la fin de 1879, je fus informé de la fondation d’une société magnéto-thérapique, sous la présidence du Baron du Potet.
Je me fis inscrire, en me promettant de suivre avec assiduité des séances qui s’annonçaient comme hautement instructives. Mais voici que subitement j’eus à partir pour l’Angleterre.
Ce me fut un amer contretemps, car le peu que je venais d’apprendre avait piqué au plus vif mon ardente curiosité. On ne mord pas au fruit de l’arbre des sciences mystérieuses sans perdre tout repos et brûler désormais de la soif de l’inconnu.
Dès mon arrivée à Londres je me mis en quête d’un magnétiseur, et on me fit connaître Adolphe Didier, le frère du fameux Alexis, célèbre sous le second empire pour sa lucidité somnambulique.
Adolphe semblait tenir de famille une organisation sensitive d’une extrême délicatesse. Il parvenait à percevoir au toucher l’atmosphère magnétique dont les objets sont entourés. Didier se prêtait, en effet, à l’expérience suivante :
En l’absence du sensitif, on choisissait sur les rayons d’une bibliothèque un livre, que l’on tenait un instant avec l’intention de le magnétiser. Ayant ensuite replacé le volume et introduit Didier, on voyait celui-ci fermer les yeux et promener lentement la main devant les livres, sans les toucher.
Le volume magnétisé était ainsi reconnu sans hésitation.
Didier avait basé sur sa sensibilité une méthode spéciale d’auscultation. en promenant sa main devant les différents organes d’un malade il percevait les anomalies du rayonnement vital, et arrivait ainsi à une diagnose, qu’il déclarait infaillible en ce qui concerne l’action magnétique à exercer.
Celle-ci s’adaptait rigoureusement aux exigences variables de chaque cas particulier. Didier ne se contentait pas d’accumuler brutalement autour d’un malade de l’électricité vitale à haute tension. Son procédé visait à réparer judicieusement les pertes de l’organisme, et n’avait rien d’arbitraire ou de violent. La Nature guide celui qui sait sentir.
L’opérateur doit donc développer sa sensibilité, afin d’agir avec ce discernement sagace, qui lui permet de répondre exactement aux besoins du malade.
Je n’eus guère avec Didier qu’un seul entretien, mais il suffit à me faire comprendre toute la valeur de ses principes. Depuis, je n’ai cessé de m’ingénier à les mettre en application.
Pour aborder avec succès la pratique de la médecine naturelle il importe de ne pas agir aveuglément. La Nature demande à être secondée avec docilité, et c’est afin d’être à même de s’associer fidèlement à ses entreprises qu’il est avantageux d’acquérir des sens plus raffinés.
Mais par quel entraînement nos perceptions peuvent-elles être portées à un plus haut degré d’acuité ?
J’avais entendu vanter sous ce rapport les avantages du régime végétarien. Ses partisans affirment qu’il exerce une influence équilibrante sur le système nerveux en supprimant toute excitation factice. La viande est à leurs yeux un excitant, qui exalte momentanément la motricité aux dépens de la délicatesse sensitive.
Je voulus me rendre pratiquement compte de la valeur de ces théories. En ménageant quelques transitions je parvins à m’accoutumer très rapidement au régime exclusif des fruits, des légumes et du laitage. Il en résulta tout d’abord pour moi une beaucoup plus grande égalité d’humeur : je me trouvai guéri de toute irritabilité, de toute impatience ; colère, tristesse, anxiété avaient fui.
Une insouciante gaieté me faisait voir tout en beau : je venais d’acquérir un tempérament à la fois d’artiste et de philosophe. Les harmonies de la nature ou des œuvres d’art me procuraient une jouissance exquise. L’esprit, d’ailleurs, semblait avoir pris plus d’ascendant sur le corps, absolument comme si, m’élevant au dessus de l’animalité, j’étais devenu plus homme.
Ces constatations me parurent justifier la discipline de Pythagore (On sait que ce philosophe prescrivait à ses disciples un régime alimentaire destiné à favoriser l’essor de la pensée et la lucidité du jugement) ; mais mon ambition n’était pas encore satisfaite. Le jeûne a joué un rôle important dans l’antique psuchurgie : il fallait donc en essayer. Je me mis à me rationner progressivement, et j’en vins à pouvoir me contenter d’un fruit avec quelques bouchées de pain par vingt-quatre heures. Pendant dix jours je pus ainsi poursuivre le cours habituel de mes occupations, sans souffrir de la faim. Matin et soir j’avais à faire un trajet d’une lieue ; or, bien que privé de toute énergie musculaire je marchais sans fatigue, comme si je n’avais rien pesé. Ma pensée était très active, mais il me coûtait de parler : j’étais porté au rêve et à la contemplation.
De semblables expériences peuvent être excellentes au point de vue de l’assouplissement du système nerveux, mais il ne faut pas en abuser. Ce n’est pas sans quelque raison que mon entourage s’en alarma. On me fit les plus sages remontrances pour m’engager à vivre comme tout le monde ; mais je n’étais guère disposé à me rendre aux arguments de la logique courante.
CHAPITRE IV
DEBUTS PRATIQUES
Le régiment. Guérisons de caserne. Première cure importante. Une tumeur maligne. Succès inattendu. Hémorragies dérivatrices.
Mes excentricités britanniques prirent fin avec mon départ pour le service militaire. A la caserne il me fallut renoncer aux spéculations transcendantes et aux expériences faites sur moi-même. En revanche, je devais y trouver l’occasion, dès les premiers jours, de la pauser en thaumaturge.
Un des hommes de ma chambrée souffrait d’une violente rage de dents. J’offris de la guérir et il s’empressa d’accepter.
Pendant que je lui faisait des passes magnétiques le long de la mâchoire, sans contact, l’assistance, qui formait cercle, se mit à rire de ce qu’elle prenait pour une farce de Parisien. Le patient lui-même participait à l’hilarité générale. Il dut faire un effort pour se recueillir lorsque, au bout de quelques minutes, je m’interrompis pour m’informer de ses sensations.
On le vit alors se palper la joue avec ahurissement. Ce fut le signal d’un redoublement de plaisanteries.
Mais mon troupier était devenu sérieux et c’est avec un accent profondément convaincu qu’il s’écria tout à coup : « Vous avez beau rigoler !… Le plus rigolo, c’est que je n’ai plus mal ! »
Ce coup de théâtre me fit immédiatement considérer comme « un type à part ». Ma maigreur excessive et ma physionomie énergétique contribuèrent à impressionner mes nouveaux camarades.
Ils me crurent doué de quelque puissance surnaturelle. Profitant de mon prestige je passais le soir dans les chambres pour magnétiser les malades. Chaque fois j’obtenais pour le moins un soulagement notable. Bientôt ma réputation fut si bien établie qu’on prit l’habitude à la compagnie de m’adresser tous ceux qui se plaignaient du moindre malaise. C’était alors toujours la même rengaine :
« Va trouver le sorcier de la première escouade, il t’enlèvera cela comme avec la main » !
Cependant, on ne reste pas longtemps prophète aux yeux de ceux qui vous voient de trop près. A diverses reprises je fus dupe de faux malades, qui ne cherchaient qu’à se divertir à mes dépens.
D’autres, loin de vouloir être guéris m’auraient demandé plutôt d’aggraver leur état, afin d’être plus sûrement reconnus le lendemain en passant la visite.
Tout cela n’était pas de nature à m’encourager, et j’avais peu à peu renoncé à magnétiser dans d’aussi fâcheuses conditions.
J’en étais venu à perdre momentanément de vue le magnétisme lorsque, me promenant seul un soir aux abords de la ville, je fus apitoyé par un jeune garçon qui, accroupi devant une masure, ne cessait de geindre.
Il souffrait d’une tumeur articulaire du genou. Le mal, déjà fort ancien, avait résisté à de longs traitements subis dans divers hôpitaux. En dépit des soins les plus éclairés, l’état du malheureux allait en empirant. Il était sous le coup d’une crise violente qui le privait de sommeil depuis trois jours.
Ce dernier détail me fit concevoir quelque espérances dans l’efficacité de mon intervention. Il m’eut paru outrecuidant de compter sur une guérison là ou les sommités médicales avaient confessé leur impuissance ; mais je crus possible d’endormir transitoirement la douleur et de procurer quelque repos.
Les parents se hâtèrent d’accepter les offres que je fis dans ce sens.
En présence d’un cas aussi grave je jugeai nécessaire de déployer une énergie véhémente. Je concentrais donc toute ma volonté pour exécuter les premières passes le long de la jambe malade. Aussitôt le patient se mit à hurler, et cependant je ne le touchais pas.
Cette preuve de sensibilité me fit comprendre mon erreur. J’avais attaqué le mal avec une sorte de frénésie, alors qu’il importe de commencer toujours avec douceur, quitte à intervenir graduellement avec toute la vigueur dont on est capable.
(les débutants manquent de confiance en eux-mêmes ; ils ne savent pas encore que les résultats les plus considérables peuvent être dus à des moyens qui semblent insignifiants. Le calme indifférent et la parfaite sérénité d’âme sont pour le magnétiseur les plus précieux éléments de force. Cela est si vrai qu’il suffit parfois de se croire une puissance extraordinaire pour la posséder en réalité. On aurait tort de dénier toute efficacité curative aux « secrets » que se transmettent avec mystère les paysans. Des individus, à qui l’on inculque la conviction qu’ils ont acquis des pouvoir magiques, sont mis en états d’accomplir des faits de réelle thaumaturgie. Certaines cérémonies burlesques en elles-mêmes, ne sont pas toujours inoffensives ou naïvement ridicules.)
La séance fut très courte. Les douleurs aiguës, que j’avais provoquées, obligèrent la malade à se coucher.
Le lendemain, on m’apprit qu’un mieux sensible était survenu après mon départ. La nuit avait été calme ; mais le sommeil complet ne fut obtenu qu’à la suite d’une deuxième séance.
On conçoit mon enthousiasme en présence de ce résultat. Chaque soir j’accourais magnétiser mon jeune infirme, dont les douleurs furent rapidement calmées. Il semblait renaître à une nouvelle vie. Ses forces revinrent ; sa mine renfrognée, son humeur maussade firent place à un air si réjoui qu’il n’était plus reconnaissable.
La santé générale fut ainsi rétablie en l’espace de huit jours. On put constater ensuite une résorption progressive de la tumeur, en même temps que les hémorragies nasales survenant à intervalles réguliers. On ne fit rien pour arrêter ces saignements de nez qui, loin d’affaiblir le convalescent, lui procuraient chaque fois une sensation de bien-être. Jamais, d’ailleurs, il n’avait joui d’un aussi excellent appétit. Le magnétisme activait toutes les fonctions organiques et stimulait en particulier les échanges nutritifs. Le sang fut ainsi renouvelé et les hémorragies eurent sans doute pour rôle d’en éliminer les éléments morbides. Elles ne cessèrent qu’avec le rétablissement parfait, au bout d’environ deux mois.
La tumeur ne laissa pas de traces et le jeune homme, bien que restant chétif de tempérament, n’a plus eu à se plaindre de son genou.
CHAPITRE V
LES MALADES
La réceptivité magnétique. Ses degrés. La polarité. Patience, sympathie, confiance. L’accumulation insensible des forces transmises. La vertu curative que l’on sent sortir de soi.
Tant que je n’avais obtenu en magnétisme que des résultats insignifiants, je ne m’étais pas cru capable de cures importantes. Aussi, lorsque je me vis apte à rendre des services inespérés, j’eus conscience des devoirs nouveaux qui m’incombaient.
Il s’agissait pour moi de tirer parti de mes facultés, afin de les appliquer au soulagement du plus grand nombre possible de malades. Dans ce but je me mis en rapport avec diverses personnes de la ville, qu’on me signala comme s’intéressant au magnétisme. L’on me fit ainsi connaître des malades dont j’entreprit le traitement.
Un mieux sensible et définitif survenait assez souvent ; mais le succès était loin de répondre toujours à mes espérances. Parfois, l’amélioration n’était que momentanée et comme illusoire. D’autres fois les progrès se faisaient attendre, et certains malades mêmes semblaient radicalement réfractaires à toute action.
Ces derniers m’apparurent comme des natures fermées, tandis que les personnes aisément magnétisables me représentèrent des natures ouvertes.
Celles-ci manifestaient une sorte d’affinité magnétique : elles attiraient les effluves vitaux, et le courant s’établissait de lui même du magnétiseur au magnétisé. Il n’y avait pas à se donner de peine : l’équilibre organique se rétablissait promptement, et c’était un plaisir que de soigner de semblables malades. Avec eux il n’y avait jamais à désespérer, même dans les cas les plus graves, alors qu’on se heurtait aux moindres désordres avec d’autres natures.
En magnétisme le succès me parut dépendre, par la suite, beaucoup moins du genre de la maladie que de la constitution intime du malade. La même affection sera guérie chez l’un et pourra résister chez l’autre à tous les efforts du magnétiseur.
Quant aux signes extérieurs qui indiqueraient à première vue une accessibilité plus ou moins grande à l’influence du magnétisme, c’est en vain que je les ai cherchés jusqu’ici. Toutes mes tentatives de systématisation ont été renversées par les faits. Des personnes que je me figurais réfractaires se sont montrées accessibles et, inversément, je n’ai parfois rien obtenu, alors que j’avais triomphé d’avance. Le plus sage est donc de ne se prononcer qu’après essai.
Pour expliquer les différences d’accessibilité à l’action du magnétisme on a supposé des polarités contraires, analogues à celles de l’électricité ou de l’aimant. un magnétiseur positif exercerait dès lors son maximum d’influence sur un sujet négatif, son action étant, au contraire, repoussée dans le cas où le malade serait lui-même positif. Il lui faudrait alors un opérateur négatif.
Cette hypothèse ne doit pas être prise à la lettre. Les systèmes sont toujours dangereux, et cela tout particulièrement en magnétisme. C’est ainsi qu’il y a, par exemple, exagération manifeste dans la théorie de la polarité humaine.
A leurs yeux le côté gauche du corps est polarisé en sens inverse du côté droit, et les deux mains exercent en magnétisme une action contraire.
Jamais je n’ai constaté rien de semblable. Je me suis toujours servi alternativement des deux mains, sans remarquer de différence dans les effets produits. Cela me porte à craindre que certains expérimentateurs ne soient devenus les dupes de conditions inconsciemment créées par eux mêmes ; car dans le domaine de la suggestion, l’opérateur provoque ce qu’il imagine. Ce qui est certain, c’est que des idiosyncrasies indéfinissables jouent en magnétisme un rôle prépondérant. Sans qu’on puisse en discerner la cause on voit souvent un magnétiseur réussir là où un autre vient d’échouer.
Il convient, d’ailleurs, de ne pas se décourager trop vite lorsque les effets se font attendre. Parfois ils ne se manifestent qu’à la longue, après des semaines ou même des mois de préparation sourde.
Le mieux survient alors brusquement.
L’essentiel, c’est qu’il n’y ait entre magnétiseur et malade aucune antipathie. Celui-ci doit pouvoir s’abandonner à l’action sans crainte ni restriction. Il n’est pas indispensable qu’il ait foi dans le traitement, mais il ne doit pas s’y montrer systématiquement hostile, de même, il doit avoir pleine confiance dans la sincérité du magnétiseur.
Cela est surtout nécessaire lorsque les progrès exigent une incubation de longue haleine. Il appartient alors au magnétiseur de faire patienter les malades qui réclament des guérisons subites. Ce qui se passe en lui au cours des séances doit lui faire reconnaître s’il exerce, oui ou non, une action effective. On est généralement averti par une sensation particulière de toute soustraction de force nerveuse dont on est l’objet. c’est un indice certain qu’on n’opère pas inutilement. Le résultat définitif est alors d’autant plus satisfaisant qu’il s’est fait attendre plus longuement.
Il est bon de rappeler en ce qui concerne cette sensation particulière, le passage suivant du chapitre V de saint Marc.
« Or, une femme, qui avait une perte de sang depuis douze ans, et qui avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins, et avait dépensé tout son bien, sans avoir rien profité, mais plutôt était allée en empirant, ayant ouï parler de Jésus, vint dans la foule par derrière, et toucha son vêtement. Car elle disait : Si je touche seulement ses vêtements, je serai guérie. « Et dans ce moment la perte de sang s’arrêta ; et elle senti en son corps qu’elle était guérie de son fléau.
« Et aussitôt Jésus, reconnaissant en soi-même la vertu qui était sortie de lui, se retourna vers la foule, en disant : Qui est-ce qui a touché mes vêtements ?
« Et ses disciples lui dirent : Tu vois que la foule te presse, et tu dis : Qui est-ce qui m’a touché ?
« Mais il regardait tout autour, pour voir celle qui avait fait cela.
« alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui avait été fait en sa personne, vint et se jeta à ses pieds, et lui déclara toute la vérité.
« Et il lui dit : Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va-t’en en paix, et sois guérie de ton fléau. »
CHAPITRE VI
LE SOMMEIL PROVOQUE
Un caporal magnétisé d’autorité. endormi subitement. Accident. Léthargie. Réveil. La sorcellerie. Ne songez qu’à guérir.
Les soins donnés aux malades de la ville m’avaient fait négliger ma première clientèle militaire.
Un soir cependant, je fut amené à magnétiser un caporal – comptable qui prétextait une fatigue des yeux pour interrompre son travail.
Il n’avait pas la moindre envie de se soumettre à mes pratiques. Après avoir mis en doute leur efficacité, il leur supposa un caractère diabolique, ou tout au moins dangereux. J’eus quelque peine à le rassurer sans parvenir à le convaincre. Il ne céda qu’à la pression du fourrier, qui le mit en demeure ou de se laisser magnétiser ou de mettre immédiatement à jour ses écritures.
Me voici donc opérant. Je commence par tenir les mains du patient que j’avais fait asseoir en face de moi, à cheval sur un banc. Cette simple mise en rapport provoque parfois une légère sensation de fourmillement dans les bras. Le caporal n’éprouvant rien de semblable je ne crus pas rencontrer en lui un sujet de première sensibilité.
En provoquant quelque sensation anormale je voulais cependant le persuader, lui et ses assistants, de la réalité du magnétisme.
Dans ce but je dirige l’action de l’une de mes mains sur les yeux, pensant y faire ressentir quelque chose. Mais le sujet, continuant à ne rien éprouver, prend acte de cet insuccès en faveur de son scepticisme, que l’assistance se montre disposée à partager.
Cela me contrarie et m’excite à projeter toute ma force nerveuse sur les paupières du caporal, à qui j’avais recommandé de fermer un instant les yeux.
Depuis une vingtaine de secondes je maintenais ainsi mes dix doigts fébrilement braqués, lorsque je vis le sujet se lever. Je crus que, ne ressentant décidément rien, il voulait se soustraire à ce qu’il considérait comme une facétie.
Comme il avait le visage dans l’ombre, je ne remarquai pas qu’en se levant le caporal conservait les yeux clos. Grande fut donc ma surprise lorsque, à peine debout, je le vis trébucher pour tomber lourdement sur le plancher.
Chacun alors se précipite au secours du malheureux qui reste étalé, absolument immobile. Dans sa chute il avait heurté un récipient rempli de cirage. Inerte, la face barbouillée de noir et de sang, le caporal présentait un spectacle saisissant.
Les scribes du bureau en perdirent la tête. Cette fois ils étaient convaincus de la réalité du magnétisme. Pâles comme des morts, les une restaient pétrifiés, d’autres voulurent courir chercher le médecin – major. Heureusement le fourrier les retins, puis m’aidant à relever le blessé, il fit donner de l’air et apporter de l’eau. le visage du caporal, toujours évanoui, fut soigneusement lavé. Il saignait du nez mais la lésion n’avait aucune gravité. Cependant, malgré l’eau froide et les soins ordinaires, la léthargie persistait. La physionomie du sujet était d’ailleurs fort rassurante : elle exprimait l’insouciance la plus parfaite, et je l’aurais laissé dormir, sans l’inquiétude des assistants.
Quelques passes transversales énergiques amenèrent rapidement le réveil.
Le caporal ouvre alors les yeux étonnés ; puis il renifle et demande qui lui a donné un coup de poing dans le nez !
L’effarement général empêche de rire de cette question inattendue. On raconte ce qui s’est passé. Mais la victime de l’accident ne veut voir dans ce récit qu’une histoire « à dormir debout ». « Ce n’est pas la peine, dit-il de chercher à m’en faire accroire. Je sais très bien que je n’ai eu qu’une seconde d’éblouissement, et que j’ai ouvert les yeux aussitôt après les avoir fermés ». Ce qui lui paraissait le plus inexplicable, c’était de ne plus être assis dans le même sens sur le banc.
Lorsque ensuite le caporal fut obligé de se rendre à l’évidence, je devins pour lui un objet de terreur. Il ne fallait pas songer à lui proposer une nouvelle expérience. J’étais à ses yeux un suppôt de l’enfer et c’est avec satisfaction qu’il m’eût vu brûler comme sorcier.
La morale de l’aventure, c’est qu’il faut strictement s’interdire d’opérer pour la galerie. Quand il s’agit de guérir, il n’y a pas à se préoccuper d’autre chose. La propagande n’est pas l’affaire du thérapeute. Peu lui importe que l’on croie oui ou non au magnétisme. Qu’il ne songe qu’au bien du malade, sans jamais chercher « a faire sentir quelque chose ». De pareilles puérilités peuvent provoquer des accidents, et en tous cas elles sont indignes d’un opérateur qui ne doit agir qu’en qualité d’interprète et de ministre de la nature.
L’imposition des Mains
Guy Tredaniel
Editions de la Maisnie 1975
« L’individu n’est rien par lui même, mais il peut disposer d’une force immense s’il parvient à s’aimanter des courants de la vie collective… »
« Le grand agent magique résulte du mariage de la volonté mâle et de l’imagination femelle, principes antagonistes que représentent les deux serpents du caducée hermétique »
« Chacun peut imposer les mains et rendre parfois par ce moyen si simple d’inestimables services. Le magnétisme curatif est à vulgariser, à faire passer dans les mœurs »
« Sachez vouloir avec douceur, sans saccades ni soubresauts ; ayez une imagination vive, ardente, et laissez vous entraîner hors de vous-même pour porter secours à autrui ; cultivez vos facultés volontaires et imaginatives ; ainsi votre pouvoir occulte ira sans cesse en augmentant. Le tout est d’apprendre à penser, afin de se servir de la pensée comme d’une force comparable à l’électricité ».
O. Wirth
A la mémoire
Du Vicomte CHARLES DE VAUREAL
Docteur en Médecine de la Faculté de Paris
À qui l’auteur doit la clef interprétative
Du symbolisme hermétique
AVANT PROPOS
En entreprenant de rédiger un traité sur l’imposition des mains, l’auteur n’a eu tout d’abord en vue qu’un but purement humanitaire : il avait constaté l’efficacité d’un mode de traitement méconnu, et se croyait tenu de publier le résultat de ses observations.
De là naquit la première partie du présent ouvrage. Elle s’adresse indistinctement à toutes les personnes assez indépendantes d’esprit pour juger des choses sans parti-pris. Tout se borne à un récit de faits personnels, exposés dans ce qu’ils présentent d’instructif.
Mais l’auteur n’a pas pu s’en tenir là. On était en droit d’exiger de lui des explications, fussent-elles hypothétiques ; car le fait n’entraîne par lui-même aucune conviction, tant qu’il n’est pas rationnellement interprété. Après avoir enseigné la Pratique, il devenait indispensable de fournir tout au moins des indications relativement à la Théorie.
Ainsi prit corps la deuxième partie de ce travail.
Il ne faut pas y chercher des solutions toutes formulées. Tout est encore mystère dans le domaine de la psychiatrie. Les agents psychiques que met en œuvre cette branche de l’art médical, nous sont inconnus dans leur essence. Nul ne saurait dire ce qu’est la pensée, la volonté, l’imagination, la vie.
Nous possédons néanmoins une tradition philosophique, qui projette une vive clarté sur les plus redoutables problèmes. De grands penseurs ont jadis édifié une synthèse de science et de métaphysique qu’il importe de mettre à la portée des générations actuelles. C’est à cette restitution d’un monument précieux pour l’archéologie de la pensée, que l’auteur s’est appliqué, en exposant les principes de la Médecine Philosophale.
Malheureusement, les hautes spéculations de la Philosophie hermétique ne sauraient être vulgarisées. Elles restent à jamais l’apanage de cette élite intellectuelle, qui sait discerner l’esprit vivifiants sous les écorces de la lettre morte.
Celui qui n’est pas aveugle à la clarté intérieure des choses, celui-là prête au langage figuré une précision que nulle terminologie scolastique ne peut atteindre. C’est pour cette raison que les doctrines alchimiques n’ont pas été dépouillées de leurs vêtements traditionnels.
En résumé, les présentes pages sollicitent le lecteur à sortir des sentiers battus. Elle n’offrent, à vrai dire, que des matériaux à peine dégrossis, mais peut-être est-ce là précisément leur mérite.
Car l’important n’est point de présenter aux hommes la vérité dans sa quintessence la plus pure, mais bien de leur fournir des aliments dont ils puissent l’extraire eux-mêmes.
Que chacun veuille donc bien tenter l’effort indispensable à l’intelligence des conceptions qui ne sont ici que sommairement esquissées. Elles intéressent au même titre le médecin, le philosophe et le simple curieux avide de mystères.
Mais de préférence, ce livre doit rester dédié à l’homme de cœur, soucieux de disposer en faveur d’autrui d’un agent thérapeutique que tous nous avons littéralement « sous la main ».
L’auteur n’aspire qu’à être utile et ne rien retenir pour lui du fruit de ses études.
O.W.
Paris, 5 avril 1895
L’IMPOSITION DES MAINS
ET LES PROCEDES CURATIFS QUI S’Y ATTACHENT
PREMIERE PARTIE
PRATIQUE
CHAPITRE PREMIER
LA MEDECINE INSTINCTIVE
L’intuition. Les Origines de l’art de guérir. Conceptions primitives. La force vitale transmissible d’une personne à une autre. La psychurgie. Son avenir.
Lorsque la légende attribue à nos premiers parents la connaissance spontanée de toutes choses, elle fait sans doute allusion aux prérogatives dont jouit l’intelligence à l’état naissant.
Au sortir de l’ignorance absolue, l’esprit humain ne subit le joug d’aucun préjugé, d’aucune idée préconçue. Son indépendance est parfaite et rien ne l’empêche de s’orienter librement vers la Vérité.
Celle-ci agit sur les intelligences vierges comme un aimant puissant : elle les attire et les plonge dans une extase qui leur permet de contempler la lumière spirituelle dans son plus pur rayonnement. C’est ce que l’Ecriture appelle converser directement avec Dieu.
Cela veut dire que dans sa naïveté originelle l’homme intuitif est naturellement prophète ou voyant. Il devine juste : au lieu de raisonner, il rêve, et ses visions tiennent du génie.
Mais cette révélation primordiale demande à être formulée. C’est là l’écueil, car l’extatique ne dispose que d’images enfantines et grossières. Il ne peut s’empêcher de tout personnifier. Jugeant l’inconnu d’après lui-même, il crée des divinités à sa ressemblance et peuple son imagination de fantômes.
Ces chimères enveloppent et assiègent son esprit : Ce sont les formes dont la pensée s’est revêtue. Elles masquent la Vérité, qu’elles dérobent à l’intelligence. La Lumière primitive ne parvient plus alors jusqu’à l’homme, qui est chassé de l’Eden : il ne possède plus la vue géniale des choses, et c’est péniblement qu’il acquiert désormais ses connaissances. Heureux encore si un travail ingrat lui fournit autre chose que des fruits amers ! La terre qu’il arrose de ses sueurs ne produit à son intention que des chardons et des ronces.
Il nous est cependant possible de nous relever de la chute. Tout le secret consiste à nous dégager des habitudes vicieuses que notre intelligence a contractées : redevenons semblables à des enfants si nous voulons entrer dans le Royaume des Cieux. Notre primitive innocence, la fraîcheur de notre première impressionnabilité peuvent se retrouver, si nous parvenons à faire abstraction de toutes les théories à la mode pour remonter jusqu’au berceau de nos diverses connaissances. C’est là, c’est à la source initiale de notre savoir que nous pouvons puiser des notions d’une pure et profonde sagesse.
Sans doute, en revenant ainsi sur nos pas nous ne rencontrons que les formes, ou les écorces, qui constituent la lettre morte de toutes les superstitions. Mais ces cadavres, ces momies, nous permettent d’évoquer la pensée éternellement vivante qui jadis y fut enfermée. C’est à ce titre que rien ne doit être méprisé. Tout nous semble ridicule et faux tant que nous ne comprenons pas ; mais dès que notre esprit s’ouvre à la compréhension tout devient respectable et vrai.
Appliquons-nous donc à démêler ce que l’homme a voulu dire, alors qu’inhabile à s’exprimer il balbutiait des fables. Peut-être trouverons-nous dans ces conjonctures instinctives des notions utiles à reprendre. L’esprit humain ne saurait trop se replier sur lui même car, en parcourant le cycle de ses égarements, jamais il n’approche autant de la Vérité que lorsqu’il revient à son point de départ.
Pour nous en convaincre il suffit de se figurer ce que l’art de guérir fut logiquement à ses débuts. Reportons-nous à une époque où l’on ne connaissait encore ni botanique ni chimie. Comment l’homme s’efforçait-il alors de parer aux atteintes de la douleur ?
La réponse nous est fournie par l’observation de ce qui se passe chaque jour autour de nous.
Considérez cet enfant dont le doigt vient d’être pincé ou brûlé. Que fait-il ? Il le porte à la bouche, et le contact de ses lèvres, la tiédeur de son haleine ou la fraîcheur de son souffle le soulage.
Un autre jeune étourdi à reçu un coup sur la main : vivement il presse sous l’aisselle les phalanges endolories et s’en trouve bien.
Nous mêmes, ne nous appliquons-nous pas la main au front lorsque le mal de tête nous y incite ? Et les douleurs intestinales ou les crampes d’estomac, ne nous obligent-elles pas à recourir à l’action calmante de nos mains ?
Ces exemples, qu’on pourrait multiplier à l’infini, montrent comment l’homme réagit spontanément contre la douleur. Sans nous laisser le temps de la réflexion, notre main se porte d’elle-même sur toute région du corps devenue subitement sensible. C’est là une loi d’activité purement réflexe ou automatique, à laquelle nous ne saurions nous soustraire. L’instinct, ce guide infaillible des êtres qui ne raisonnent pas, nous porte ainsi à chercher tout d’abord en nous-mêmes le remède contre la douleur.
N’est-ce point là une indication précieuse ? Pourquoi tant chercher en dehors de nous, alors que c’est EN NOUS que jaillit la fontaine de Vie ? Les choses ne se passent-elles pas comme si toute partie saine du corps tendait à ramener la santé dans une autre partie malade ? Les anciens ne conçurent aucun doute à cet égard, comme le prouvent leurs premières théories médicales.
A leurs yeux, la maladie était une entité hostile, un esprit malfaisant, un souffle vénéneux qui s’insinue traîtreusement dans l’organisme. la santé, par contre, apparaissait comme une essence divine normalement répandue dans tous nos organes, dont elle assure l’intégrité et le fonctionnement régulier. Pour chasser le démon, on crut suffisant de mettre en contact avec lui son antagoniste. Il se déchaînait ainsi une lutte, qui se terminait par la victoire du plus fort.
Ces idées, suggérées par la pratique de guérir en imposant les mains, donnèrent naissance aux conjurations de la Magie chaldéenne. Les médecins babyloniens rédigeaient leurs ordonnances sur des briques, que déchiffrent de nos jours les assyriologues. Il n’y est guère question de remèdes physiques ; mais les dieux, dans ces textes cunéiformes, sont mis en demeure de protéger le malade en le délivrant de ses ennemis invisibles. A notre époque encore, les Tartares attribuent toutes les maladies à l’influence des mauvais esprits. Pour les chasser, ils ont recours à des cérémonies incantatoires, tout comme les sauvages qui ont pour médecins des sorciers, dont les danses furibondes et les hurlements frénétiques mettent en fuite les diables installés dans le corps du malade.
Ces extravagances ne se rattachent que fort indirectement à la Médecine instinctive. Celle-ci devait conduire à des procédure à la fois plus simples, plus rationnels et plus efficaces.
On remarquera sans doute qu’il est avantageux pour le malade de rester complètement passif et d’avoir recours à l’action curative d’une main autre que la sienne. L’intervention d’une personne robuste et bien équilibrée apporte un appoint de vitalité, dont bénéficie immédiatement un organisme affaibli. Du riche au pauvre, il s’opère comme une transfusion équilibrante des forces vitales qui s’écoulent d’elles mêmes vers les organes où le besoin les appelle.
Cette action peut rester purement physiologique et inconsciente. Elle se produit spontanément, en dehors de toute intervention volontaire, intentionnelle ou raisonnée de l’opérateur. celui-ci, néanmoins, ne met en jeu toute sa puissance d’action que s’il fait intervenir sa pensée et sa volonté, autrement dit son âme.
Les prêtre-médecins de l’antiquité savaient sous ce rapport s’exalter par des prières et des incantations, pour agir tout vibrants de ferveur mystique. Leurs traditions passèrent aux Esséniens (du syriaque esso, guérir), et aux thérapeutes, qui portèrent à un très haut degré l’art de la psychurgie.
L’Evangile s’efforça de vulgariser les procédés curatifs de la médecine naturelle, en enseignant à guérir par l’imposition des mains. Mais on se méprit bientôt sur le caractère des guérisons opérées par les premiers chrétiens. Le miracle y avait moins de part qu’on ne se l’est figuré aux âges de la foi aveugle. Pour imiter les apôtres en restituant à autrui la santé, il n’est pas indispensable d’être saint ; il suffit de posséder soi-même ce que l’on veut donner, et, par la suite, d’être sain.
La santé parfaite du corps suppose, il est vrai, une santé correspondante de l’âme et de l’esprit. Mais tout est relatif : il n’y a pas à exiger de perfection. Les uns sont mieux partagés que d’autres et les premiers peuvent toujours venir en aide aux seconds. Une compassion sincère aux souffrances d’autrui suffit à nous mettre en état de réaliser toutes les merveilles thérapeutiques des psychurges.
La médecine instinctive reste ainsi à la porté du très grand nombre. De même qu’elle n’exige qu’un degré de très accessible sainteté, elle ne réclame pas, d’autre part, des connaissances spéciales. Ce n’est pas elle qui astreint à disséquer des cadavres, à torturer des animaux et à retenir quantité de termes savants. Sans doute, elle ne requiert pas non plus que l’on reste ignorant par système ; mais un peu de sagacité naturelle, avec beaucoup d’ardeur généreuse et de bonne volonté, conduisent plus loin dans le domaine de psychiatrie que tout ce que l’on enseigne dans les écoles.
Voyez cette mère qui presse contre son sein l’être chéri menacé de mort. Dans l’élan de sa tendresse elle veut lui donner sa propre vie… et le prodige s’accomplit ! Il y a transmission de vitalité et l’enfant est sauvé, alors que la science le déclarait perdu. Combien de fois l’amour maternel a-t-il ainsi fait mentir le pronostic des savants !
Le malheur, c’est que nous soyons aveuglés par une fausse éducation, qui nous détourne en toutes choses de la simplicité naturelle. Nous ne concevons pas de guérison en dehors de tout un appareil de pompe charlatanesque. Pour capter notre confiance il faut des titres et des diplômes, avec prescription de drogues mystérieuses, et surtout… une forte note à payer.
Les préjugés sont tenaces. Mais on finira par se lasser des remèdes artificiels, et force sera de revenir tôt ou tard à la Nature qui, seule, guérit. L’art alors ne s’attachera plus qu’à seconder son œuvre réparatrice et reviendra aux données premières de la médecine instinctive.
Jusque là, il est à désirer que les disciples d’Hippocrate se montrent moins prodigues de toxiques. On peut guérir par des moyens inoffensifs : sans proscrire d’une manière absolue les médicaments dangereux il convient donc tout au moins de les réserver comme ultimato ratio. La NATURE devrait avoir le pas sur les instruments et les poisons de l’ART.
Lorsque la médecine entrera dans cette voie elle réservera une large place à la Psychiatrie, et nul ne songera plus à décrier en elle une science néfaste, exploitée par des pourvoyeurs de la mort !
CHAPITRE II
PREMIERS ESSAIS
Une lecture attachante. Expérience au collège. Constatations répétées. A bout de fluide. Ménagements imposés par l’adolescence.
Lorsqu’il m’est arrivé de parler de magnétisme on n’a jamais manqué de s’enquérir de la façon dont l’idée m’en est venue. Pour satisfaire sous ce rapport une curiosité fort légitime, je suis tenu de me reporter à ma quatorzième année. J’étais alors au collège dans la suite allemande, chez de braves pères bénédictins qui mettaient à la disposition de leurs élèves une assez riche bibliothèque. Ce qu’on est convenu d’appeler le hasard m’y fit découvrir, dans un recueil périodique, un récit intitulé : Der Wunderdoctor, le Docteur aux miracles.
Me croyant en présence d’une œuvre de pure imagination je fus surpris de rencontrer tant de fantaisie sous une plume germanique. De la part d’un auteur français nulle invention ne m’eut paru trop ingénieuse ; mais je voyais autour de moi tant d’esprits massifs que j’eus quelque soupçons d’une vérité servant de trame au récit qui m’avait émerveillé. Il était question de cures surprenantes, opérées par une force que nos nerfs sont susceptibles d’émettre sous l’impulsion de la volonté.
La théorie ne me parut pas en elle-même irrationnelle. Pourquoi les faits devraient-ils la démentir ? Donnant cours à les réflexions je ne tardai pas à entrevoir toute une science ignorée de nos professeurs. En ma qualité de cancre incorrigible je me mis à ruminer quelque revanche secrète.
Connaître des choses mystérieuses ne figurant pas au programme de nos cours, pouvoir en remontrer sur certains points à des hommes de science, quel rêve pour un écolier paresseux !
Mais y avait-il un fond de vrai dans l’histoire de ce magnétiseur mis en scène par l’écrivain allemand ? Que penser en particulier d’une note finale, indiquant sommairement les procédés à mettre en œuvre pour guérir par le magnétisme ? L’auteur prétendait, au surplus que le don des pseudo-miracles est des plus communs, et il engageait toute personne vigoureuse à tenter l’expérience.
je résolus d’en avoir le cœur net.
Le soir même, après une chaude journée de juin, je causais à l’écart avec l’un de mes camarades. Il était distrait, car un moustique l’avait piqué à la jambe et il ne cessait de se gratter.
Cela me fit songer à la méthode curative dont j’étais préoccupé. L’occasion d’en faire l’essai. d’un air mystérieux je proposai donc à mon ami de le guérir au moyen d’un « secret ! »
Très intrigué, il se mit à ma disposition et me montra sur son mollet une petite tache pâle, largement auréolée de rouge. Le bobo était insignifiant, et pour en avoir raison on pouvait se contenter d’être un fort petit sorcier. Plein d’assurance, j’attaquai donc le mal en effleurant la peau du bout des doigts de ma main droite, tandis que ma gauche serrait la paume de mon camarade, tout juste avec le degré de force requis pour provoquer dans mon bras une légère contraction nerveuse. Nous étions à genou sur le gazon, l’un en face de l’autre.
La consigne était de se regarder fixement dans les yeux, avec la volonté ferme d’une part d’être guéri, et de l’autre d’agir en thaumaturge.
Au bout de deux minutes, cet innocent manège fut interrompu. Mon ami prétendait ne plus rien sentir. Je crus d’abord qu’il tentait de ma mystifier.
Ce pouvait n’être, d’ailleurs, qu’une intermittence fortuite. Mais mon camarade ne l’entendait pas ainsi. Il avait senti quelque chose d’anormal se passer en lui ; mon « secret » avait bel et bien produit son effet. « Et la preuve, dit-il, la voici ! »
Ce disant, il me fit examiner le foyer d’irritation, qui effectivement, ne présentait plus du tout le même aspect. Il ne subsistait plus qu’un peu de rougeur uniforme ; quant à la petite cloque blanche centrale, elle avait complètement disparu.
Du coup, j’étais ébranlé. Serait-ce vrai ? Il y aurait donc une réalité dans ces choses cachées, bien autrement intéressantes que celles qu’on nous inculque à rand renfort de menaces et de punitions ? Ah ! mes excellents maîtres, s’il est une science que vous ne connaissez pas, c’est à celle-là que je m’appliquerai ! Savoir ce que tout le monde sait, cela n’est pas enthousiasmant. Mais l’inconnu, le mystérieux, quels appas pour une imagination vive !
Tout cela était fort beau ; mais n’étais-je pas dupe de quelque illusion ? Réussirais-je seulement à répéter l’expérience ?
Il me tardait d’être fixé à ce sujet. S’il y avait parmi les élèves quelque éclopé !… Mais tout juste, voici un de nos camarade qui a la main bandée.
Au cours d’une promenade, en collectionnant des coléoptères, il a frôlé des orties et la sensation de brûlure est resté assez vive.
J’offre mes services, qui sont acceptés, et j’opère comme la première fois, avec le même succès.
Plus de doute désormais : je suis sorcier ! J’en profite pour dissiper des douleurs de tête, des maux de dents et toute une série de petits malaises.
Chaque fois le résultat devait être obtenu en deux ou trois minutes ; en cas d’échec, je ne songeais pas à recommencer : il me fallait des guérisons instantanées.
Je ne pouvais ainsi avoir raison que de désordres absolument superficiels ; tant soit peu profonds ils résistaient à mon procédé. Ce fut, à les yeux, l’indice d’un épuisement de ma réserve fluidique.
J’avais dépensé ma force : il fallait laisser à la pile le temps de se charger à nouveau.
Puis je traversais une phase de croissance qui ne devait guère être propice aux exercices de gymnastique nerveuse. L’organisme doit achever de se construire, avant de pouvoir disposer sans inconvénient de ses énergies latentes. Bon gré, mal gré, je dus ainsi me résigner à remettre à plus tard l’exercice de mon pouvoir occulte. Mais le grain était semé ; il me restait une conviction : celle de la réalité du magnétisme
CHAPITRE III
MES INITIATEURS
Les aventures de Cagliostro. Le Baron du Potet. Adolphe Didier. L’aura magnétique. Les avantages de la sensibilité. Le végétarisme. Le jeûne.
Etant donné mes dispositions d’esprit, on conçoit tout l’intérêt que je dus prendre à certaines lectures. Joseph Balsamo devait surtout m’impressionner. mais le roman d’Alexandre Dumas me suggéra des idées assez saugrenues.
Il me fit envisager le don de guérir comme transmissible par voie d’investiture occulte. Je me figurais qu’il était impossible de devenir magnétiseur par soi même sans se faire initier par un adepte.
J’imaginais une sorte de sacerdoce se perpétuant au moyen d’une consécration spéciale, par l’effet d’une sorte de sacrement magique.
Ces conceptions peu rationalistes furent bientôt reléguées dans le domaine des fantasmagories enfantines.
Devenu esprit fort, je ne voulus plus voir dans le magnétisme qu’un agent essentiellement naturel, dont chacun peut faire application pourvu qu’il en connaisse les lois.
Il importait donc de m’instruire auprès de maîtres expérimentés : c’était là toute l’initiation à laquelle je pouvais aspirer.
Or, me trouvant à Paris vers la fin de 1879, je fus informé de la fondation d’une société magnéto-thérapique, sous la présidence du Baron du Potet.
Je me fis inscrire, en me promettant de suivre avec assiduité des séances qui s’annonçaient comme hautement instructives. Mais voici que subitement j’eus à partir pour l’Angleterre.
Ce me fut un amer contretemps, car le peu que je venais d’apprendre avait piqué au plus vif mon ardente curiosité. On ne mord pas au fruit de l’arbre des sciences mystérieuses sans perdre tout repos et brûler désormais de la soif de l’inconnu.
Dès mon arrivée à Londres je me mis en quête d’un magnétiseur, et on me fit connaître Adolphe Didier, le frère du fameux Alexis, célèbre sous le second empire pour sa lucidité somnambulique.
Adolphe semblait tenir de famille une organisation sensitive d’une extrême délicatesse. Il parvenait à percevoir au toucher l’atmosphère magnétique dont les objets sont entourés. Didier se prêtait, en effet, à l’expérience suivante :
En l’absence du sensitif, on choisissait sur les rayons d’une bibliothèque un livre, que l’on tenait un instant avec l’intention de le magnétiser. Ayant ensuite replacé le volume et introduit Didier, on voyait celui-ci fermer les yeux et promener lentement la main devant les livres, sans les toucher.
Le volume magnétisé était ainsi reconnu sans hésitation.
Didier avait basé sur sa sensibilité une méthode spéciale d’auscultation. en promenant sa main devant les différents organes d’un malade il percevait les anomalies du rayonnement vital, et arrivait ainsi à une diagnose, qu’il déclarait infaillible en ce qui concerne l’action magnétique à exercer.
Celle-ci s’adaptait rigoureusement aux exigences variables de chaque cas particulier. Didier ne se contentait pas d’accumuler brutalement autour d’un malade de l’électricité vitale à haute tension. Son procédé visait à réparer judicieusement les pertes de l’organisme, et n’avait rien d’arbitraire ou de violent. La Nature guide celui qui sait sentir.
L’opérateur doit donc développer sa sensibilité, afin d’agir avec ce discernement sagace, qui lui permet de répondre exactement aux besoins du malade.
Je n’eus guère avec Didier qu’un seul entretien, mais il suffit à me faire comprendre toute la valeur de ses principes. Depuis, je n’ai cessé de m’ingénier à les mettre en application.
Pour aborder avec succès la pratique de la médecine naturelle il importe de ne pas agir aveuglément. La Nature demande à être secondée avec docilité, et c’est afin d’être à même de s’associer fidèlement à ses entreprises qu’il est avantageux d’acquérir des sens plus raffinés.
Mais par quel entraînement nos perceptions peuvent-elles être portées à un plus haut degré d’acuité ?
J’avais entendu vanter sous ce rapport les avantages du régime végétarien. Ses partisans affirment qu’il exerce une influence équilibrante sur le système nerveux en supprimant toute excitation factice. La viande est à leurs yeux un excitant, qui exalte momentanément la motricité aux dépens de la délicatesse sensitive.
Je voulus me rendre pratiquement compte de la valeur de ces théories. En ménageant quelques transitions je parvins à m’accoutumer très rapidement au régime exclusif des fruits, des légumes et du laitage. Il en résulta tout d’abord pour moi une beaucoup plus grande égalité d’humeur : je me trouvai guéri de toute irritabilité, de toute impatience ; colère, tristesse, anxiété avaient fui.
Une insouciante gaieté me faisait voir tout en beau : je venais d’acquérir un tempérament à la fois d’artiste et de philosophe. Les harmonies de la nature ou des œuvres d’art me procuraient une jouissance exquise. L’esprit, d’ailleurs, semblait avoir pris plus d’ascendant sur le corps, absolument comme si, m’élevant au dessus de l’animalité, j’étais devenu plus homme.
Ces constatations me parurent justifier la discipline de Pythagore (On sait que ce philosophe prescrivait à ses disciples un régime alimentaire destiné à favoriser l’essor de la pensée et la lucidité du jugement) ; mais mon ambition n’était pas encore satisfaite. Le jeûne a joué un rôle important dans l’antique psuchurgie : il fallait donc en essayer. Je me mis à me rationner progressivement, et j’en vins à pouvoir me contenter d’un fruit avec quelques bouchées de pain par vingt-quatre heures. Pendant dix jours je pus ainsi poursuivre le cours habituel de mes occupations, sans souffrir de la faim. Matin et soir j’avais à faire un trajet d’une lieue ; or, bien que privé de toute énergie musculaire je marchais sans fatigue, comme si je n’avais rien pesé. Ma pensée était très active, mais il me coûtait de parler : j’étais porté au rêve et à la contemplation.
De semblables expériences peuvent être excellentes au point de vue de l’assouplissement du système nerveux, mais il ne faut pas en abuser. Ce n’est pas sans quelque raison que mon entourage s’en alarma. On me fit les plus sages remontrances pour m’engager à vivre comme tout le monde ; mais je n’étais guère disposé à me rendre aux arguments de la logique courante.
CHAPITRE IV
DEBUTS PRATIQUES
Le régiment. Guérisons de caserne. Première cure importante. Une tumeur maligne. Succès inattendu. Hémorragies dérivatrices.
Mes excentricités britanniques prirent fin avec mon départ pour le service militaire. A la caserne il me fallut renoncer aux spéculations transcendantes et aux expériences faites sur moi-même. En revanche, je devais y trouver l’occasion, dès les premiers jours, de la pauser en thaumaturge.
Un des hommes de ma chambrée souffrait d’une violente rage de dents. J’offris de la guérir et il s’empressa d’accepter.
Pendant que je lui faisait des passes magnétiques le long de la mâchoire, sans contact, l’assistance, qui formait cercle, se mit à rire de ce qu’elle prenait pour une farce de Parisien. Le patient lui-même participait à l’hilarité générale. Il dut faire un effort pour se recueillir lorsque, au bout de quelques minutes, je m’interrompis pour m’informer de ses sensations.
On le vit alors se palper la joue avec ahurissement. Ce fut le signal d’un redoublement de plaisanteries.
Mais mon troupier était devenu sérieux et c’est avec un accent profondément convaincu qu’il s’écria tout à coup : « Vous avez beau rigoler !… Le plus rigolo, c’est que je n’ai plus mal ! »
Ce coup de théâtre me fit immédiatement considérer comme « un type à part ». Ma maigreur excessive et ma physionomie énergétique contribuèrent à impressionner mes nouveaux camarades.
Ils me crurent doué de quelque puissance surnaturelle. Profitant de mon prestige je passais le soir dans les chambres pour magnétiser les malades. Chaque fois j’obtenais pour le moins un soulagement notable. Bientôt ma réputation fut si bien établie qu’on prit l’habitude à la compagnie de m’adresser tous ceux qui se plaignaient du moindre malaise. C’était alors toujours la même rengaine :
« Va trouver le sorcier de la première escouade, il t’enlèvera cela comme avec la main » !
Cependant, on ne reste pas longtemps prophète aux yeux de ceux qui vous voient de trop près. A diverses reprises je fus dupe de faux malades, qui ne cherchaient qu’à se divertir à mes dépens.
D’autres, loin de vouloir être guéris m’auraient demandé plutôt d’aggraver leur état, afin d’être plus sûrement reconnus le lendemain en passant la visite.
Tout cela n’était pas de nature à m’encourager, et j’avais peu à peu renoncé à magnétiser dans d’aussi fâcheuses conditions.
J’en étais venu à perdre momentanément de vue le magnétisme lorsque, me promenant seul un soir aux abords de la ville, je fus apitoyé par un jeune garçon qui, accroupi devant une masure, ne cessait de geindre.
Il souffrait d’une tumeur articulaire du genou. Le mal, déjà fort ancien, avait résisté à de longs traitements subis dans divers hôpitaux. En dépit des soins les plus éclairés, l’état du malheureux allait en empirant. Il était sous le coup d’une crise violente qui le privait de sommeil depuis trois jours.
Ce dernier détail me fit concevoir quelque espérances dans l’efficacité de mon intervention. Il m’eut paru outrecuidant de compter sur une guérison là ou les sommités médicales avaient confessé leur impuissance ; mais je crus possible d’endormir transitoirement la douleur et de procurer quelque repos.
Les parents se hâtèrent d’accepter les offres que je fis dans ce sens.
En présence d’un cas aussi grave je jugeai nécessaire de déployer une énergie véhémente. Je concentrais donc toute ma volonté pour exécuter les premières passes le long de la jambe malade. Aussitôt le patient se mit à hurler, et cependant je ne le touchais pas.
Cette preuve de sensibilité me fit comprendre mon erreur. J’avais attaqué le mal avec une sorte de frénésie, alors qu’il importe de commencer toujours avec douceur, quitte à intervenir graduellement avec toute la vigueur dont on est capable.
(les débutants manquent de confiance en eux-mêmes ; ils ne savent pas encore que les résultats les plus considérables peuvent être dus à des moyens qui semblent insignifiants. Le calme indifférent et la parfaite sérénité d’âme sont pour le magnétiseur les plus précieux éléments de force. Cela est si vrai qu’il suffit parfois de se croire une puissance extraordinaire pour la posséder en réalité. On aurait tort de dénier toute efficacité curative aux « secrets » que se transmettent avec mystère les paysans. Des individus, à qui l’on inculque la conviction qu’ils ont acquis des pouvoir magiques, sont mis en états d’accomplir des faits de réelle thaumaturgie. Certaines cérémonies burlesques en elles-mêmes, ne sont pas toujours inoffensives ou naïvement ridicules.)
La séance fut très courte. Les douleurs aiguës, que j’avais provoquées, obligèrent la malade à se coucher.
Le lendemain, on m’apprit qu’un mieux sensible était survenu après mon départ. La nuit avait été calme ; mais le sommeil complet ne fut obtenu qu’à la suite d’une deuxième séance.
On conçoit mon enthousiasme en présence de ce résultat. Chaque soir j’accourais magnétiser mon jeune infirme, dont les douleurs furent rapidement calmées. Il semblait renaître à une nouvelle vie. Ses forces revinrent ; sa mine renfrognée, son humeur maussade firent place à un air si réjoui qu’il n’était plus reconnaissable.
La santé générale fut ainsi rétablie en l’espace de huit jours. On put constater ensuite une résorption progressive de la tumeur, en même temps que les hémorragies nasales survenant à intervalles réguliers. On ne fit rien pour arrêter ces saignements de nez qui, loin d’affaiblir le convalescent, lui procuraient chaque fois une sensation de bien-être. Jamais, d’ailleurs, il n’avait joui d’un aussi excellent appétit. Le magnétisme activait toutes les fonctions organiques et stimulait en particulier les échanges nutritifs. Le sang fut ainsi renouvelé et les hémorragies eurent sans doute pour rôle d’en éliminer les éléments morbides. Elles ne cessèrent qu’avec le rétablissement parfait, au bout d’environ deux mois.
La tumeur ne laissa pas de traces et le jeune homme, bien que restant chétif de tempérament, n’a plus eu à se plaindre de son genou.
CHAPITRE V
LES MALADES
La réceptivité magnétique. Ses degrés. La polarité. Patience, sympathie, confiance. L’accumulation insensible des forces transmises. La vertu curative que l’on sent sortir de soi.
Tant que je n’avais obtenu en magnétisme que des résultats insignifiants, je ne m’étais pas cru capable de cures importantes. Aussi, lorsque je me vis apte à rendre des services inespérés, j’eus conscience des devoirs nouveaux qui m’incombaient.
Il s’agissait pour moi de tirer parti de mes facultés, afin de les appliquer au soulagement du plus grand nombre possible de malades. Dans ce but je me mis en rapport avec diverses personnes de la ville, qu’on me signala comme s’intéressant au magnétisme. L’on me fit ainsi connaître des malades dont j’entreprit le traitement.
Un mieux sensible et définitif survenait assez souvent ; mais le succès était loin de répondre toujours à mes espérances. Parfois, l’amélioration n’était que momentanée et comme illusoire. D’autres fois les progrès se faisaient attendre, et certains malades mêmes semblaient radicalement réfractaires à toute action.
Ces derniers m’apparurent comme des natures fermées, tandis que les personnes aisément magnétisables me représentèrent des natures ouvertes.
Celles-ci manifestaient une sorte d’affinité magnétique : elles attiraient les effluves vitaux, et le courant s’établissait de lui même du magnétiseur au magnétisé. Il n’y avait pas à se donner de peine : l’équilibre organique se rétablissait promptement, et c’était un plaisir que de soigner de semblables malades. Avec eux il n’y avait jamais à désespérer, même dans les cas les plus graves, alors qu’on se heurtait aux moindres désordres avec d’autres natures.
En magnétisme le succès me parut dépendre, par la suite, beaucoup moins du genre de la maladie que de la constitution intime du malade. La même affection sera guérie chez l’un et pourra résister chez l’autre à tous les efforts du magnétiseur.
Quant aux signes extérieurs qui indiqueraient à première vue une accessibilité plus ou moins grande à l’influence du magnétisme, c’est en vain que je les ai cherchés jusqu’ici. Toutes mes tentatives de systématisation ont été renversées par les faits. Des personnes que je me figurais réfractaires se sont montrées accessibles et, inversément, je n’ai parfois rien obtenu, alors que j’avais triomphé d’avance. Le plus sage est donc de ne se prononcer qu’après essai.
Pour expliquer les différences d’accessibilité à l’action du magnétisme on a supposé des polarités contraires, analogues à celles de l’électricité ou de l’aimant. un magnétiseur positif exercerait dès lors son maximum d’influence sur un sujet négatif, son action étant, au contraire, repoussée dans le cas où le malade serait lui-même positif. Il lui faudrait alors un opérateur négatif.
Cette hypothèse ne doit pas être prise à la lettre. Les systèmes sont toujours dangereux, et cela tout particulièrement en magnétisme. C’est ainsi qu’il y a, par exemple, exagération manifeste dans la théorie de la polarité humaine.
A leurs yeux le côté gauche du corps est polarisé en sens inverse du côté droit, et les deux mains exercent en magnétisme une action contraire.
Jamais je n’ai constaté rien de semblable. Je me suis toujours servi alternativement des deux mains, sans remarquer de différence dans les effets produits. Cela me porte à craindre que certains expérimentateurs ne soient devenus les dupes de conditions inconsciemment créées par eux mêmes ; car dans le domaine de la suggestion, l’opérateur provoque ce qu’il imagine. Ce qui est certain, c’est que des idiosyncrasies indéfinissables jouent en magnétisme un rôle prépondérant. Sans qu’on puisse en discerner la cause on voit souvent un magnétiseur réussir là où un autre vient d’échouer.
Il convient, d’ailleurs, de ne pas se décourager trop vite lorsque les effets se font attendre. Parfois ils ne se manifestent qu’à la longue, après des semaines ou même des mois de préparation sourde.
Le mieux survient alors brusquement.
L’essentiel, c’est qu’il n’y ait entre magnétiseur et malade aucune antipathie. Celui-ci doit pouvoir s’abandonner à l’action sans crainte ni restriction. Il n’est pas indispensable qu’il ait foi dans le traitement, mais il ne doit pas s’y montrer systématiquement hostile, de même, il doit avoir pleine confiance dans la sincérité du magnétiseur.
Cela est surtout nécessaire lorsque les progrès exigent une incubation de longue haleine. Il appartient alors au magnétiseur de faire patienter les malades qui réclament des guérisons subites. Ce qui se passe en lui au cours des séances doit lui faire reconnaître s’il exerce, oui ou non, une action effective. On est généralement averti par une sensation particulière de toute soustraction de force nerveuse dont on est l’objet. c’est un indice certain qu’on n’opère pas inutilement. Le résultat définitif est alors d’autant plus satisfaisant qu’il s’est fait attendre plus longuement.
Il est bon de rappeler en ce qui concerne cette sensation particulière, le passage suivant du chapitre V de saint Marc.
« Or, une femme, qui avait une perte de sang depuis douze ans, et qui avait beaucoup souffert entre les mains de plusieurs médecins, et avait dépensé tout son bien, sans avoir rien profité, mais plutôt était allée en empirant, ayant ouï parler de Jésus, vint dans la foule par derrière, et toucha son vêtement. Car elle disait : Si je touche seulement ses vêtements, je serai guérie. « Et dans ce moment la perte de sang s’arrêta ; et elle senti en son corps qu’elle était guérie de son fléau.
« Et aussitôt Jésus, reconnaissant en soi-même la vertu qui était sortie de lui, se retourna vers la foule, en disant : Qui est-ce qui a touché mes vêtements ?
« Et ses disciples lui dirent : Tu vois que la foule te presse, et tu dis : Qui est-ce qui m’a touché ?
« Mais il regardait tout autour, pour voir celle qui avait fait cela.
« alors la femme, saisie de crainte et toute tremblante, sachant ce qui avait été fait en sa personne, vint et se jeta à ses pieds, et lui déclara toute la vérité.
« Et il lui dit : Ma fille, ta foi t’a sauvée ; va-t’en en paix, et sois guérie de ton fléau. »
CHAPITRE VI
LE SOMMEIL PROVOQUE
Un caporal magnétisé d’autorité. endormi subitement. Accident. Léthargie. Réveil. La sorcellerie. Ne songez qu’à guérir.
Les soins donnés aux malades de la ville m’avaient fait négliger ma première clientèle militaire.
Un soir cependant, je fut amené à magnétiser un caporal – comptable qui prétextait une fatigue des yeux pour interrompre son travail.
Il n’avait pas la moindre envie de se soumettre à mes pratiques. Après avoir mis en doute leur efficacité, il leur supposa un caractère diabolique, ou tout au moins dangereux. J’eus quelque peine à le rassurer sans parvenir à le convaincre. Il ne céda qu’à la pression du fourrier, qui le mit en demeure ou de se laisser magnétiser ou de mettre immédiatement à jour ses écritures.
Me voici donc opérant. Je commence par tenir les mains du patient que j’avais fait asseoir en face de moi, à cheval sur un banc. Cette simple mise en rapport provoque parfois une légère sensation de fourmillement dans les bras. Le caporal n’éprouvant rien de semblable je ne crus pas rencontrer en lui un sujet de première sensibilité.
En provoquant quelque sensation anormale je voulais cependant le persuader, lui et ses assistants, de la réalité du magnétisme.
Dans ce but je dirige l’action de l’une de mes mains sur les yeux, pensant y faire ressentir quelque chose. Mais le sujet, continuant à ne rien éprouver, prend acte de cet insuccès en faveur de son scepticisme, que l’assistance se montre disposée à partager.
Cela me contrarie et m’excite à projeter toute ma force nerveuse sur les paupières du caporal, à qui j’avais recommandé de fermer un instant les yeux.
Depuis une vingtaine de secondes je maintenais ainsi mes dix doigts fébrilement braqués, lorsque je vis le sujet se lever. Je crus que, ne ressentant décidément rien, il voulait se soustraire à ce qu’il considérait comme une facétie.
Comme il avait le visage dans l’ombre, je ne remarquai pas qu’en se levant le caporal conservait les yeux clos. Grande fut donc ma surprise lorsque, à peine debout, je le vis trébucher pour tomber lourdement sur le plancher.
Chacun alors se précipite au secours du malheureux qui reste étalé, absolument immobile. Dans sa chute il avait heurté un récipient rempli de cirage. Inerte, la face barbouillée de noir et de sang, le caporal présentait un spectacle saisissant.
Les scribes du bureau en perdirent la tête. Cette fois ils étaient convaincus de la réalité du magnétisme. Pâles comme des morts, les une restaient pétrifiés, d’autres voulurent courir chercher le médecin – major. Heureusement le fourrier les retins, puis m’aidant à relever le blessé, il fit donner de l’air et apporter de l’eau. le visage du caporal, toujours évanoui, fut soigneusement lavé. Il saignait du nez mais la lésion n’avait aucune gravité. Cependant, malgré l’eau froide et les soins ordinaires, la léthargie persistait. La physionomie du sujet était d’ailleurs fort rassurante : elle exprimait l’insouciance la plus parfaite, et je l’aurais laissé dormir, sans l’inquiétude des assistants.
Quelques passes transversales énergiques amenèrent rapidement le réveil.
Le caporal ouvre alors les yeux étonnés ; puis il renifle et demande qui lui a donné un coup de poing dans le nez !
L’effarement général empêche de rire de cette question inattendue. On raconte ce qui s’est passé. Mais la victime de l’accident ne veut voir dans ce récit qu’une histoire « à dormir debout ». « Ce n’est pas la peine, dit-il de chercher à m’en faire accroire. Je sais très bien que je n’ai eu qu’une seconde d’éblouissement, et que j’ai ouvert les yeux aussitôt après les avoir fermés ». Ce qui lui paraissait le plus inexplicable, c’était de ne plus être assis dans le même sens sur le banc.
Lorsque ensuite le caporal fut obligé de se rendre à l’évidence, je devins pour lui un objet de terreur. Il ne fallait pas songer à lui proposer une nouvelle expérience. J’étais à ses yeux un suppôt de l’enfer et c’est avec satisfaction qu’il m’eût vu brûler comme sorcier.
La morale de l’aventure, c’est qu’il faut strictement s’interdire d’opérer pour la galerie. Quand il s’agit de guérir, il n’y a pas à se préoccuper d’autre chose. La propagande n’est pas l’affaire du thérapeute. Peu lui importe que l’on croie oui ou non au magnétisme. Qu’il ne songe qu’au bien du malade, sans jamais chercher « a faire sentir quelque chose ». De pareilles puérilités peuvent provoquer des accidents, et en tous cas elles sont indignes d’un opérateur qui ne doit agir qu’en qualité d’interprète et de ministre de la nature.
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Re: L'imposition des mains
J'ai trouvé l'avant première partie ininterressante, à l'inverse de la suite qui valait l'effort de la lecture.
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